work

Une publicité ambulante à Nancy

Félix Roy (1862-1930)
1890
Positif gélatino-argentique sur plaque de verre
H. 8,5 ; l. 10 cm
Inv. 2019.0.5236
Don Roy, 1938

 

Les affiches présentes sur cette photographie prise au niveau du Marché central, en face du 61 rue Saint-Dizier à Nancy, permettent de la dater avec précision des derniers jours de septembre 1890. On y voit un jeune homme souriant, stationné le long de la rue avec un chariot surmonté d’une colonne polygonale, couverte de publicités pour des spectacles.

L’édicule avec son couronnement en six volutes apparaît comme une interprétation artisanale de la fameuse colonne Morris qui remplit les rues de Paris dans le dernier quart du XIXe siècle et devient le moyen de communication indispensable des théâtres et cabarets.
C’est une belle journée, le soleil brille, les arbres ont encore leurs feuilles, des badauds circulent ici et là. Les deux affiches visibles font la promotion de spectacles donnés au Casino des familles, situé non loin de là, rue Saint-Georges. On peut y voir « La Crevette », « une opérette à grand spectacle de M. Bataille » (in L’Est républicain, 28 septembre 1890) donné en « ouverture de la saison hiver », le 27 septembre « et les jours suivants ». Les amateurs de sensations fortes se rendront plutôt au spectacle de Louis Uni de Marsillargues (1862-1928), dit « Apollon, le roi des athlètes », colosse capable de porter un cheval d’une main, réputé homme le plus fort du monde, venu des Folies Bergères de Paris où il se produit depuis 1887.

L’activité du jeune homme n’est pas sans évoquer celle des « hommes-sandwichs », ou « hommes-affiches » chargés, au sens propre comme au figuré, de diffuser à travers la ville, les publicités et informations. Ce métier, né avec l’industrialisation et l’urbanisation, est exercé par les plus humbles, voire les exclus du monde du travail. Malgré le sourire du jeune homme, c’est un métier ingrat et usant qui est ici donné à voir, dans lequel l’homme remplace la mule ou l’âne, car lui seul peut interpeller le passant et le convaincre d’assister au spectacle.

Félix Roy donne à son personnage le premier rôle dans le spectacle de la vie urbaine où tant d’acteurs restent d’ordinaire invisibles. Posant à côté du corps surexposé et sublimé de l’affiche, son héros est comme un double anonyme de l’athlète, condamné malgré toute sa force physique, et avec une certaine ironie, à rester dans l’ombre qui baigne son visage.

Passionné par la photographie, qu’il pratique encore comme amateur au moment de cette prise de vue, Félix Roy abandonne vers 1900 une carrière de greffier pour ouvrir un atelier de photographe, chez lui, au 20 rue Saint-Nicolas. Il fut un membre actif de la Société lorraine de Photographie, créée en 1894. Celle-ci organisait des excursions nombreuses pour offrir de nouveaux sujets à ses membres et organisait des projections publiques où étaient montrées les images tirées sur ces plaques positives.