Œuvre

Lingère à Vandœuvre

Anonyme
Vers 1900
Négatif gélatino-argentique sur plaque de verre
Inv. 2019.0.679

 

L’entretien du linge a pendant longtemps été une activité exclusivement féminine, qu’elle soit domestique ou professionnelle. Lessiveuses ou blanchisseuses, repasseuses, lingères : ces métiers se développent particulièrement au XIXe siècle où, à la suite des travaux de Louis Pasteur en matière de microbiologie, les préoccupations liées à l’hygiène émergent et génèrent de nouveaux comportements.
Les lingères travaillent dans les maisons nobles ou bourgeoises, dans des ateliers urbains ou plus généralement chez elles où elles lavent, raccommodent et repassent le linge à leur propre compte. Les familles aisées leur confient l’entretien du linge de maison, les vêtements et les tissus délicats comme les dentelles. C’est un travail physique épuisant, répétitif, sous-payé et à risque : le maniement du linge sale et mouillé est un vecteur de transmission de la tuberculose, grand fléau du siècle.

Le photographe a immortalisé dans cette scène la dernière étape de ce travail fastidieux, à savoir le repassage. Dans un intérieur modeste, une lingère repasse sur une simple planche couverte d’un drap blanc. Elle lisse de la main gauche le tissu au bord festonné (une taie d’oreiller ?) tandis que de la main droite, elle tient fermement un fer plat chauffé à la braise dont la poignée est recouverte d’une « pattemouille » censée protéger la paume de la chaleur du métal. On imagine à ses côtés, mais hors champ de la photographie, la source de chaleur qui maintient des fers à repasser à température : peut-être une cuisinière ou plus vraisemblablement un « chauffe-fers », petit poêle en fonte autour duquel on pouvait disposer plusieurs fers.

La lingère, absorbée par son ouvrage, semble suspendre son geste et poser pour le photographe. Une fenêtre grande ouverte sur le jardin vient rafraîchir une atmosphère de chaleur embuée et laisse entrer la lumière filtrée par la végétation extérieure. L’éclat du linge blanc rehausse la scène de petites touches lumineuses : la coiffe lorraine parfaitement repassée et amidonnée, le tablier serré à la taille ou encore la table à repasser.

Loin de la difficulté de la tâche accomplie jour après jour, cette photographie s’inscrit dans une représentation traditionnelle de la lavandière ou de la lingère dont elle nous offre ici une image sereine. Mais si les nombreuses photographies de lavandières au lavoir ou au bord d’un cours d’eau reprennent le registre pictural connu de la scène de genre voire du paysage, ce sujet de lingère repassant, plus rare, s’en démarque par une composition resserrée, dans un cadre intime.

La représentation des métiers du quotidien est un sujet cher aux photographes qui souvent ajustent leur composition pour en offrir une description détaillée, entre reportage et mise en scène artistique. Dans une société industrielle en pleine mutation, photographier ces « petits métiers » est un moyen de capturer une réalité sociologique sur le point de disparaître mais également d’affirmer la vocation artistique de la photographie, capable de saisir et de s’approprier des sujets traités jusque-là par la peinture.