Les Amants surpris par la mère

Manufacture de Toul-Bellevue

Manufacture de Toul-Bellevue
Paul-Louis Cyfflé (auteur du modèle)
Dernier tiers du XVIIIe siècle
Biscuit de terre de pipe
H. 20 ; L. 18 ; P. 13 cm
Inv. 95.887
Don de Roger, Xavier, Étienne, Michel et Bernard Aubry, 1951

Au Salon de 1765, le peintre Pierre-Antoine Baudouin, élève et gendre de François Boucher,  présente un grand nombre de petites gouaches aux sujets légers ainsi que le souligne Diderot dans sa relation du Salon : « BAUDOUIN. Bon Garçon, qui a de la figure, de la douceur, de l’esprit, un peu libertin ; mais qu’est ce que cela me fait ? Ma femme a ses quarante-cinq ans passés ; et il n’approchera pas de ma fille, ni lui ni ses compositions ». Parmi l’ensemble des « petits tableaux » de Baudouin, l’écrivain désigne La Paysanne querellée par sa mère comme le meilleur car « le mieux dessiné et d’une assez jolie couleur » et en donne la description avec humour : « La scène est dans une cave. La fille et son doux ami en étaient sur un point, sur un point… c’est dire assez que ne le dire point… lorsque la mère est arrivée justement, justement… C’est dire encore ceci bien clairement. » Et de conclure : « Cela est tout à fait libertin ; mais on peut aller jusque-là. Je regarde, je souris, et je passe ». La gouache intégre le cabinet du baron Pierre-Victor de Besenval et a un tel succès qu’elle est gravée par Pierre-Philippe Choffard en 1767. Elle se trouve aujourd’hui conservée au Museum of Art de Cleveland.

Le modèle réalisé à la manufacture de Toul-Bellevue dans les années 1770 s’inspire directement de l’estampe de Choffard. On y retrouve le personnage de la mère en courroux avec un habit et une pose identique. Les poings sur les hanches, le torse en avant, elle tance vertement sa fille surprise en pleine faute. Cette dernière est également très fidèle au modèle de la gravure : tenant d’une main son tablier, elle détourne la tête tandis que son corsage dégrafé laisse apparaître l’objet du délit. Au sol se trouve le chapeau du jeune amant que les modeleurs ont figuré accroupi derrière un amas de paille, dans une pose totalement ridicule, contrairement au modèle gravé sur lequel ce dernier s’enfuit par l’escalier à l’arrière-plan. Ce thème, produit uniquement à Toul-Bellevue, est mentionné dans les tarifs de la manufacture jusque dans les années 1870 puis disparaît dans ceux de 1898. Maurice Noël en signale un exemplaire passé en vente en 1890 signé « Prouvé, Nancy ». Il s’agit probablement d’une œuvre de Gengoult Prouvé, père de Victor Prouvé, qui a réalisé des moules à la manufacture de Charles Gallé Reinemer dans la deuxième moitié du XIXe siècle. L’exemplaire du musée a été offert par les frères Aubry, en particulier Roger et Xavier, derniers directeurs de la faïencerie de Toul avant sa fermeture en 1939.

Pierre-Hippolyte Pénet

Bibliographie :

DIDEROT (Denis), Œuvres complètes, Paris, Garnier frères, 1876, pp. 332, 334, 337.

NOËL (Maurice), « Recherches sur la céramique lorraine au XVIIIe siècle », thèse non publiée, Université de Nancy, 1961, p. 199. 

HORIOT (Maïté), Paul-Louis Cyfflé et les terres de Lorraine aux XVIIIe-XIXe siècles dans les collections du Musée Historique Lorrain, mémoire de maîtrise d’histoire de l’art sous la direction de François PUPIL et Francine ROZE, Université de Nancy 2, 2002-2003, pp. 103-104, n°46.

CALAME (Catherine), Cyfflé, orfèvre de l’argile. Ses statuettes en terre de Lorraine et les reprises par les manufactures régionales [cat. exp., « Cyfflé, orfèvre de l’argile », Saint-Clément, 1er août-17 août 2009], Lunéville, Association des Amis de la Faïence ancienne de Lunéville Saint-Clément, Office de Tourisme et château des Lumières, 2009, pp. 93, 118.