Hercule et Omphale

Manufacture Cyfflé à Lunéville

Manufacture Cyfflé à Lunéville
Paul-Louis Cyfflé (auteur du modèle)
1765 - 1780
Biscuit de porcelaine hybride
H. 31,5 ; L. 28,5 ; P. 22,5 cm
Inv. 60.21.1
Achat, 1960
Marque TERRE DE LORRAINE estampée en creux

Dans la mythologie gréco-romaine, afin d’expier le meurtre d’Iphitos, fils du roi Eurytos, Hercule est condamné par l’oracle de Delphes à devenir esclave. Acheté par Omphale, reine de Lydie, il se voit confier par cette dernière un certain nombre de travaux avant d’être libéré et d’en devenir l’époux. Dans les Fastes, le poète Ovide narre un épisode burlesque ridiculisant le héros, incarnation de la force et de la virilité. Un soir où le couple décide de passer la nuit dans une grotte, la reine habille son époux de sa propre parure, le revêtant de sa tunique légère qui ne suffit pas à contenir le corps musculeux d’Hercule. Elle se saisit en échange de sa lourde massue, de la dépouille du lion de Némée et de son carquois. Durant la nuit, le couple étant endormi, cette inversion des habits est à l’origine du quiproquo qui conduit le dieu Faunus, convoitant la belle souveraine, à porter par erreur ses mains sur le corps d’Hercule et à être violemment repoussé par ce dernier. Les auteurs romains Lucien et Properce ajoutent à cet épisode un échange d’attribut, Hercule étant réduit à filer la laine tandis que la reine s’appuie sur sa massue.

Peu traité dans l’art antique, ce motif de l’inversion des rôles, faisant aussi référence au carnaval, connaît un grand succès auprès des écrivains et artistes du Moyen Âge et de l’époque moderne. En 1699, Fénelon l’utilise dans ses Aventures de Télémaque pour montrer à son jeune élève, le duc de Bourgogne, les effets qu’engendre une passion amoureuse dénuée de raison. Dès 1701, le mythe est également porté sur scène par André Cardinal Destouches puis par Louis Fuzelier ou Charles-Simon Favart. En 1724, le peintre François Lemoyne lui consacre un tableau, gravé par Laurent Cars, qui inspire peut-être le groupe produit par la manufacture de Vincennes vers 1749. En Lorraine, vers 1770, Paul-Louis Cyfflé réalise dans sa manufacture de Lunéville un groupe représentant Hercule assis sur un coussin, tirant de la laine d’un écheveau tenu par un petit amour agenouillé à sa droite. Goguenard, le putto montre du doigt la bobine aujourd’hui disparue, signalant au spectateur le ridicule de la situation. Accoudée sur l’épaule d’Hercule en signe de domination et vêtue de la peau du lion de Némée, la reine Omphale est assise sur une sorte de siège à l’antique orné de volutes. De la main gauche, elle s’appuie sur la massue du héros. Le traitement du corps d’Hercule, à la musculature exacerbée et aux proportions démesurées si on les compare à celles de la souveraine, ne fait que souligner l’absurdité de la scène. Extrêmement célèbre, ce groupe est acquis par plusieurs notables lorrains dont Nicolas Durival qui l’évoque dans son journal le 22 juin 1780. Le groupe du palais des ducs de Lorraine - Musée lorrain a été réalisé à la manufacture de Cyfflé dont il porte la marque. Il est aussi connu à Niderviller où il apparaît dans les tarifs sous le n°20, vraisemblablement en pendant du n°21 représentant Jupiter et Antiope, et sous le n°92 pour lequel les deux protagonistes sont accompagnés de trois enfants. Les deux figures sont également éditées séparément sous les n°49 et 50.

Pierre-Hippolyte Pénet

Bibliographie :

MOREY (Prosper), Les statuettes dites de terre de Lorraine, Nancy, Crépin-Leblond, 1871, pp. 37, 39.

NOËL (Maurice) Notice in DECKER (Émile) (dir.) Céramique Lorraine, Chefs-d’œuvre des XVIIIe et XIXe siècles [cat. exp., Nancy, Musée lorrain-Atlanta, High Museum, 1990-1991], Nancy, éditions Serpenoise, Presses Universitaires de Nancy et Conseil général, 1990, p. 184.

NOËL (Maurice), « Les acquéreurs de statuettes en terre de Lorraine », Le Pays lorrain, Nancy, 1998, pp. 37-38.

HORIOT (Maïté), Paul-Louis Cyfflé et les terres de Lorraine aux XVIIIe-XIXe siècles dans les collections du Musée Historique Lorrain, mémoire de maîtrise d’histoire de l’art sous la direction de François PUPIL et Francine ROZE, Université de Nancy 2, 2002-2003, pp. 122-123, n°55.

CALAME (Catherine), Cyfflé, orfèvre de l’argile. Ses statuettes en terre de Lorraine et les reprises par les manufactures régionales [cat. exp., « Cyfflé, orfèvre de l’argile », Saint-Clément, 1er août-17 août 2009], Lunéville, Association des Amis de la Faïence ancienne de Lunéville Saint-Clément, Office de Tourisme et château des Lumières, 2009, pp. 166-167.

CALAME (Catherine) et MAGGETTI (Marino), « Paul-Louis Cyfflé et ses recettes de Terre de Lorraine », Revue de la société des amis du Musée national de la céramique, n°21, 2012, p.74-86.