Léda et le cygne

Manufacture Cyfflé à Lunéville

Manufacture Cyfflé à Lunéville
Paul-Louis Cyfflé (auteur du modèle), Jean-Baptiste Grandel (repareur)
1767 - 1779
Biscuit de porcelaine hybride
H. 23 ; L. 20 ; P. 23 cm
Inv. D.T.S.118
Collection Thiéry-Solet, Dépôt de la Ville de Nancy, 1921.
Marque TERRE DE LORRAINE estampée en creux et initiales JG à la pointe

Objets d’art particulièrement recherchés par les amateurs lorrains du XVIIIe siècle, les biscuits produits d’après les modèles de Paul-Louis Cyfflé peuvent être présentés sur des linteaux de cheminée ou des meubles de salons en étant parfois recouverts de cloches de verre. Ils peuvent également prendre place sur les riches tables décorées avec goût pour les élites fortunées. C’est le cas pour ce biscuit représentant Léda et le cygne qui devient la pièce centrale d’un magnifique surtout de table commandé par le premier juge consul de Lorraine et Barrois Jean-Baptiste Villiez (1699-1789) afin d’être offert à sa fille. L’ensemble est composé d’un kiosque à l’antique en bois entouré d’une balustrade sur laquelle sont placés huit vases en biscuit. Entre les colonnes doriques qui soutiennent la structure se tiennent quatre petits amours tenant des corbeilles alternant avec quatre bassins de forme rocaille. Au centre de la structure, un grand bassin avec un décor illusionniste de roseaux met en exergue le groupe mythologique représentant Léda, fille du roi d’Étolie Thestios, séduite par le dieu Jupiter ayant pris l’apparence d’un cygne.

La composition de Cyfflé, très élégante, représente la scène prise sur le vif : le cygne surprend la jeune femme assise sur un rocher qui esquisse un mouvement de recul et élève le bras droit dans un geste très gracieux. Cette impression de mouvement était initialement renforcée par le mécanisme hydraulique du surtout car, de la bouche de l’oiseau jaillissait en effet un jet d’eau répondant aux autres jets installés entre les quatre bassins et au sommet du baldaquin. Ce motif aquatique est également présent sur le biscuit grâce à l’eau de la source sur laquelle est assise Léda qui semble, de manière illusionniste, couler sur le socle de l’œuvre.

Pour réaliser ce groupe, Cyfflé s’est très probablement inspiré d’un tableau de François Boucher peint en 1742 et présenté au Salon du Louvre la même année. Il a également été gravé par William Wynne Ryland. Bien que Léda y soit accompagnée d’une autre jeune femme, elle adopte presque exactement la même pose que la statuette. Dévêtue, les pieds croisés, la princesse semble légèrement perdre l’équilibre et, comme sur le biscuit, lève le bras droit sur lequel passe un voile blanc. Déployant ses ailes et avançant son bec vers les deux femmes, le cygne est également très similaire. Cet exemplaire réalisé à la manufacture de Cyfflé à Lunéville porte les initiales de Jean-Baptiste Grandel, qualifié de « premier repareur très essentiel à la manufacture » en 1779. C’est à lui que revenait la charge d’assembler les différentes parties obtenues grâce aux moules et de les parfaire. Le modèle de Cyfflé est diffusé également en Allemagne où il apparaît en porcelaine polychrome à la manufacture de Volkstedt vers 1785. Le thème mythologique de Léda et le cygne est aussi traité par les manufactures de Saint-Clément et de Niderviller qui représentent la jeune femme allongée sur le dos en train de recevoir le baiser du cygne. Le musée des Arts décoratifs de Strasbourg conserve encore une autre version réalisée à Niderviller où, dans un traitement plus néoclassique, Léda se tient debout et enlace le cygne qu’elle embrasse.

Pierre-Hippolyte Pénet

Bibliographie :

RENAULD (Jules), Les hostelains et taverniers de Nancy : essai sur les mœurs épulaires de la Lorraine, Nancy, Wiener, 1875, pp. 150-151.

APTEL (Claire), BASTIAN (Jacques), HECKENBENNER (Dominique), MEYER (Marie-Emmanuelle), Notice in DECKER (Émile) (dir.), Céramique Lorraine, Chefs-d’œuvre des XVIIIe et XIXe siècles [cat. exp., Nancy, Musée lorrain-Atlanta, High Museum, 1990-1991], Nancy, éditions Serpenoise, Presses Universitaires de Nancy et Conseil général, 1990, p. 186-187.

NOËL (Maurice) in BASTIAN (Jacques) (dir.),Notice dans Faïences de Lorraine, 1720-1840, [cat. exp., Nancy, Musée lorrain, 14 mai-29 septembre 1997], Nancy, éditions du Pays Lorrain, 1997, pp. 84-85.

HORIOT (Maïté), Paul-Louis Cyfflé et les terres de Lorraine aux XVIIIe-XIXe siècles dans les collections du Musée Historique Lorrain, mémoire de maîtrise d’histoire de l’art sous la direction de François PUPIL et Francine ROZE, Université de Nancy 2, 2002-2003, pp. 118-119, n°53.

CALAME (Catherine), Cyfflé, orfèvre de l’argile. Ses statuettes en terre de Lorraine et les reprises par les manufactures régionales [cat. exp., « Cyfflé, orfèvre de l’argile », Saint-Clément, 1er août-17 août 2009], Lunéville, Association des Amis de la Faïence ancienne de Lunéville Saint-Clément, Office de Tourisme et château des Lumières, 2009, pp. 80, 83, 165.

CALAME (Catherine) et MAGGETTI (Marino), « Paul-Louis Cyfflé et ses recettes de Terre de Lorraine », Revue de la société des amis du Musée national de la céramique, n°21, 2012, p.74-86.