Bélisaire aveugle recevant l’aumône
Manufacture Cyfflé à Lunéville ou de Toul-Bellevue
Manufacture Cyfflé à Lunéville ou de Toul-Bellevue
Paul-Louis Cyfflé (auteur du modèle)
Dernier tiers du XVIIIe siècle
Biscuit de terre de pipe
H. 34,5 ; L. 32 ; P. 20 cm
Inv. 95.878
Don de Roger, Xavier, Étienne, Michel et Bernard Aubry, 1951
Procope de Césarée (500-565), secrétaire du général byzantin Bélisaire (494-565) envoyé par l’empereur Justinien pour restaurer l’Empire romain, raconte dans ses écrits comment son maître, accusé de conspiration, a été jugé et condamné à mort en 563. En 1767, Jean-François Marmontel (1723-1799) fait de Bélisaire le personnage central de son roman éponyme. Le général victorieux désavoué par Justinien est devenu un vieillard aveugle, banni, errant et réduit à la mendicité, auprès duquel Justinien repenti vient prendre conseil. Ce conte moral, et plus particulièrement le chapitre XV, dénonçant l’arbitraire du pouvoir et exhortant à la tolérance, est perçu comme une attaque du pouvoir royal et mis à l’index par la faculté de Théologie de la Sorbonne. L’ouvrage controversé reçoit l’appui de Voltaire et est distribué à plus de quarante mille exemplaires à travers l’Europe. Ce succès littéraire engendre, entre les années 1770 et 1800, un engouement artistique pour le thème de Bélisaire mendiant reconnu par un de ses anciens soldats.
Le groupe en terre de Lorraine, dont le modèle est attribué à Paul-Louis Cyfflé, est cité dans l’inventaire de 1770 de la manufacture de Lunéville, dans le catalogue de 1892 de cette même manufacture au n°89 et dans les catalogues des tarifs de la manufacture de Toul-Bellevue en 1778, 1875 et 1898. Sur un socle rectangulaire, le général est représenté assis sur une souche, tenant un bâton de la main gauche, le bras droit tendu, sa main prête à recevoir l’aumône d’une jeune femme au regard compatissant. Face à ces deux personnages, un légionnaire, vêtu d’une armure, d’une tunique et chaussé de sandales, se tient les mains jointes et le regard baissé. Un casque gît au sol. Cette scène serait inspirée d’une gravure, conservée au British Museum à Londres, d’après un tableau du peintre génois Luciano Borzone (1590-1645) autrefois attribué à Anton Van Dyck. La composition présente Bélisaire assis sur un fauteuil, entouré de trois femmes et d’un jeune enfant, tandis qu’un soldat vêtu d’une cuirasse des temps modernes lui fait face, accompagné d’un chien. Diderot commente ainsi la gravure : « il est certain que c’est la figure du soldat qui attache et qu’elle semble faire oublier toutes les autres » ; c’est ce que semble avoir retenu Cyfflé en réduisant sa composition à trois figures. D’autres artistes comme Nicolas-René Jollain (1767), Louis Durameau (1775), Pierre Peyron (1779) François-André Vincent (1776), Jacques-Louis David (1781) ou le sculpteur Jean-Antoine Houdon (1773) ont exploité ce thème.
Le modèle de Cyfflé a été reproduit à la manufacture de Niderviller ou encore à la manufacture du Bois d’Épense, dite des Islettes, dans une version polychrome. Détail étonnant, dans cette dernière version, la pièce de monnaie que la jeune fille tend au vieillard porte la mention « République française ». Enfin, un second groupe en biscuit, dont le modèle est aussi attribué à Paul-Louis Cyfflé, reproduit quant à lui le dessin d’Hubert-François Bourguignon Gravelot (1699-1773) figurant en frontispice de l’édition du Bélisaire de 1767. Le vieillard aveugle est représenté debout, guidé par un enfant, et marchant sur le serpent, symbole de l’envie ou de la calomnie.
Marie Pintre
Bibliographie :
NOËL (Maurice), « Sur quelques biscuits en terre de Lorraine de P.-L. Cyfflé », La Revue des Arts, 1959, n°1, pp. 35-36.
NOËL (Maurice), « Recherches sur la céramique lorraine au XVIIIe siècle », thèse non publiée, Université de Nancy, 1961, p. 169.
NOËL (Maurice), « Les biscuits de Cyfflé, étude de thèmes », La Lorraine dans l’Europe des Lumières, Actes du colloque de la Faculté des lettres et des sciences humaines de l’Université de Nancy, 1968, p. 249.
HORIOT (Maïté), Paul-Louis Cyfflé et les terres de Lorraine aux XVIIIe-XIXe siècles dans les collections du Musée Historique Lorrain, mémoire de recherche sous la direction de François PUPIL et Francine ROZE, Université de Nancy 2, 2002-2003, pp. 184-186, n°89.
NOËL (Maurice), « La petite statuaire lorraine en céramique : reflet de l’Europe des lumières », Mémoires de l’Académie nationale de Metz, t. X, 2006-2007, pp. 275-278.
ROSEN (Jean), sous la dir. de, La faïencerie du Bois d’Épense dite « des Islettes ». Une manufacture à l’étude, édition Ville de Bar-le-Duc, 2007, p.72.
CALAME (Catherine), Cyfflé, orfèvre de l’argile. Ses statuettes en terre de Lorraine et les reprises par les manufactures régionales [cat. exp., « Cyfflé, orfèvre de l’argile », Saint-Clément, 1er août-17 août 2009], Lunéville, Association des Amis de la Faïence ancienne de Lunéville Saint-Clément, Office de Tourisme et château des Lumières, 2009, pp. 64, 66, 71, 93, 96, 172-173.