Le Vieilleur à la sacoche
XVIIe siècle
Huile sur toile
H. 161 ; L. 102 cm
Inv. 61.1.2
Achat auprès des Jésuites de Troyes, 1961
La Tour ne fut pas le premier à représenter des joueurs de vieille au sein de l’École lorraine. Avant lui, le peintre Jacques de Bellange en offre ainsi une représentation plutôt caricaturale dans une eau-forte figurant une Rixe entre un mendiant et un pèlerin. Dans sa série des Gueux, le graveur Jacques Callot choisit également de représenter un Vielleux avec une grande puissance d’expression. Le sujet témoigne particulièrement bien du goût de La Tour pour les sujets populaires dépeints avec un réalisme hérité de la peinture flamande et caravagesque. Si dans la Rixe de musiciens du J. Paul Getty Museum de Los Angeles, le thème donne lieu à une scène plutôt comique, la fausse cécité du vielleur étant mise à jour par un musicien concurrent grâce à un jet de citron dans l’œil, les autres compositions de l’artiste sur le même sujet sont néanmoins emprunts d’une certaine forme de compassion. À l’époque de La Tour, il devait être assez fréquent de rencontrer ces musiciens ambulants ainsi que le signale Pierre Trichet dans son Traité des instruments de musique vers 1640. Selon lui, la vielle est « maniée par des idiots et des pauvres mendiants, la plupart desquels sont aveugles, il ne faut pas s’estonner si elle sert seulement pour esmouvoir la pitié ».
La version de Nancy est une copie ancienne d’après un original qui est peut-être la toile conservée au Musée Charles Friry de Remiremont. Trouvée d’après Pariset dans un grenier de Nancy, celle-ci fut acquise en 1846 par le collectionneur romarimontain qui l’attribua à l’École espagnole. Son caractère autographe est toujours aujourd’hui sujet à débat. La composition représente le vielleur assis sur un bloc de pierre en train de chanter tout en tournant la roue et en en appuyant sur les touches de son instrument. L’étrange position du pied, au talon posé sur un caillou, semble peut-être indiquer qu’il bat la mesure. Le peintre traite ici le personnage avec un réalisme appuyé : contrairement au tableau du Getty Museum, le musicien solitaire semble ici réellement aveugle ainsi que le signale le froncement des yeux qui souligne particulièrement le handicap du vieil homme. L’artiste met également en avant les rides de la peau, l’épiderme usée par le temps et les mèches en désordre de la chevelure. L’éclairage étrange qui plonge le décor extérieur très abstrait dans la pénombre permet de mettre en lumière ce personnage saisi sur le vif avec un regard presque photographique.
La toile de Remiremont n’a sans doute pas été achevée car il manque les ouïes, ouvertures nécessaires au bon fonctionnement de la vielle, ce que le copiste du tableau de Nancy n’a pas non plus rendu. L’explication réside sans doute dans un rapprochement avec Le Vielleur à la mouche conservé au Musée des Beaux-Arts de Nantes. Malgré quelques différences, comme l’orientation de la tête ou le remplacement de la sacoche par un chapeau à plume, et une qualité indéniablement supérieure, la toile de Nantes partage en effet la même composition que les deux toiles lorraines. La toile de Remiremont pourrait ainsi être préparatoire à celle de Nantes à moins qu’il ne s’agisse d’une reprise par l’atelier de l’artiste. Signalons qu’en 1764, l’Inventaire général des meubles du Château royal de Commercy mentionne parmi les différents tableaux présentés dans la chambre à coucher du roi Stanislas « un autre représentant un joueur de viele, prisé 16 l. ». Peut-on supposer qu’il s’agissait d’une œuvre de La Tour ?
Pierre-Hippolyte Pénet
Bibliographie :
WINTERNITZ (Emmanuel), Instruments de musique du monde occidental, Paris, Arthaud, 1972, pp. 116-117.
ROSENBERG (Pierre), « Un nouveau La Tour », Scritti in onore di Giuliano Briganti, Milan, Longanesi, 1990, pp. 169-178.
THUILLIER (Jacques), Georges de La Tour, Paris, Flammarion, 1997, n°18.
CUZIN (Jean-Pierre), Notice in CUZIN (Jean-Pierre) et ROSENBERG (Pierre) (dir.), Georges de La Tour [cat. exp., Paris, Galeries nationales du Grand Palais, 3 octobre 1997 – 26 janvier 1998], Paris, Réunion des musées nationaux, 1997, pp. 140-141.