L’Espagnol qui rend gorge
Jacques Lagnier
Jacques Lagnier (1600, Paris – 1675, Paris)
1657
Gravure au burin
H. 19,8 ; l. 17,8 cm
Nancy, Palais des ducs de Lorraine - Musée lorrain,
inv. 2008.0.647
Fonds d’arts graphiques
Depuis le règne de Charles Quint, les Français s’inquiètent de « l’encerclement » pratiqué par les Habsbourg, plus particulièrement par l’Espagne qui possède notamment les
Pays-Bas depuis le partage de l’héritage bourguignon.
Entrée dans la guerre de Trente Ans pour lutter essentiellement contre l’Espagne, à compter de 1635, la France la combat toujours en 1657. Or, c’est à cette date que le jeune Louis XIV assiste à la prise de la place de Montmédy. Un grand écho est donné à cette victoire qui favorise d’ailleurs le chemin de la paix des Pyrénées en 1659. La France s’est imposée sur le terrain en prenant d’autres villes des Pays-Bas espagnols, au nord de la France ou au
nord-est, comme Thionville.
Sous le trait de la caricature, l’Espagnol - par ailleurs souvent présenté dans les images comme amateur de raves, d’oignons et habitué aux flatulences -, « rend » le trop plein ingurgité, sous une double houlette : celle des médecins, eux-aussi écornés presque dans un style à la Molière, et celle de la sagesse, ici représentée par la figure féminine et la chouette. Sans vergogne, privé de conscience et avec rouerie (à nouveau la chouette), il a voulu profiter sans limite de sa force, sans toutefois compter avec les nouvelles réalités, représentées ici en négatif avec son costume ancien et sa fraise démodée.
Cette image souligne bien la fin du « siècle d’or » espagnol - une richesse représentée par le sang trop riche saigné et les déjections particulières… - et l’affirmation de la puissance française, après les derniers troubles de la Fronde. Au-delà, elle nous dit l’avancée de la France dans l’espace lorrain : elle possède déjà les Trois-Évêchés, des places prises aux Espagnols et après 1659, une forte implantation au nord des duchés avec la prise définitive de Thionville et son plat-pays, et aussi Montmédy : ce sont dès lors bien ces derniers qui peuvent avoir le sentiment de l’encerclement.
Laurent Jalabert
Bibliographie :
DUCCINI Hélène, Faire voir, faire croire: l'opinion publique sous Louis XIII, Seyssel, Champ Vallon, 2003.
STACHOWSKI Philippe, Une région frontalière entre Luxembourg et Lorraine 1500-1789, Luxembourg, Gérard Klopp, 2011.