Monument funéraire du duc René II

Lorraine

Cat. 11
Lorraine
Monument funéraire du duc René II
1508-1509
Calcaire polychromé, marbre
H. 700 ; L. 425 ; Pr. 71 cm
Inv. D.2006.0.1081
Classé Monument Historique en 1846
Dépôt de la Ville de Nancy

Le 10 décembre 1508, le duc René II de Lorraine s’éteignit après avoir pris froid lors d’une chasse au château de Fains, non loin de Bar-le-Duc (Meuse). Après avoir d’abord songé, dans un premier testament de 1486, à être inhumé à la collégiale Saint-Georges auprès de ses prédécesseurs, le défunt formula le souhait, dans un second testament daté de 1506, de reposer dans l’église des Cordeliers qu’il avait fondée et construite. Le souhait de René II était que lui soit dédié un monument très simple au côté droit de l’autel. Accompagné d’une épitaphe, celui-ci devait prendre la forme d’un monument en bronze, gravée de son effigie, aux côtés de laquelle il serait possible de s’agenouiller pour réciter des prières tout en y reposant les bras. Le monument voulu par le duc fut réalisé par un fondeur dénommé « maître Jacques » et prit la forme d’un tapis en trompe-l’œil sur lequel le défunt était représenté couronné et tenant son sceptre. Sur les côtés, apparaissaient également à plusieurs reprises deux anges soutenant les armes de Lorraine ainsi qu’une inscription mentionnant : « Cy-gist tres hault, tres puissant et tres chevaleureux Prince, René de Lorraine, Roy de Jhrlm, de Sicile et d’Arragon, leq[ue]l eagié de lxij ans trespassa le vij de décembre l’an 1508 ».

Néanmoins, la veuve de René II, la duchesse Philippe de Gueldre, ne respecta pas entièrement les dernières volontés de son défunt mari. Si la plaque et l’épitaphe furent bien réalisées, un spectaculaire monument funéraire, dont le concepteur demeure à ce jour inconnu, leur fut adjoint en 1508-1509 comme le montre l’estampe de Sébastien Antoine de 1728 où on distingue la plaque de bronze entourée d’une structure métallique destinée à le protéger. Au sein d’un enfeu creusé dans le mur droit de la nef, deux statues en marbre blanc, peut-être dues au sculpteur Mansuy Gauvain, auteur de la statue équestre primitive du duc Antoine sur la porterie du palais, furent installées. La première représentait le duc René II, revêtu du manteau ducal et d’un camail d’hermine, à genoux devant un prie-Dieu recouvert d’un tissu brodé armorié sur lequel étaient posés la couronne ducale et un livre. Devant lui, debout sur un piédestal, était figurée la Vierge Marie présentant l’Enfant Jésus à la dévotion du duc.

Le monument pariétal est composé de deux registres d’importance égale. Ils sont séparés par une corniche au centre de laquelle apparaissent en saillie les armes de René II surmontées d’un cimier portant la couronne ducale et un alérion aux ailes déployées. Le registre supérieur comprend six niches à coquilles où sont sculptées en haut relief six figures de saints identifiés par des phylactères. On peut d’abord y reconnaître, terrassant le dragon, saint Georges, patron des chevaliers, sous le vocable duquel était placé la collégiale jouxtant le palais, puis saint Nicolas, patron de la Lorraine, en l’honneur de qui René II avait fait reconstruire l’église de Port (actuelle basilique de Saint-Nicolas-de-Port). Ce dernier est représenté redonnant la vie aux trois enfants placés dans un baquet. Au centre sont figurés l’archange Gabriel tenant un phylactère où sont écrits les mots « Ave gracia plena » (Je vous salue, [Marie], pleine de grâces) et la Vierge portant un livre et une croix de Jérusalem autour du cou, rappelant ainsi la dévotion particulière du duc envers l’Annonciation. À ses pieds, un phylactère indique en abrégé la réponse de Marie : « mihy scdm verbo tuum » (Qu’il me soit fait selon ta parole), complétée, entre les deux personnages, d’un lys, symbole de pureté de la Mère de Dieu, sortant d’un vase doré et torsadé accompagné de l’inscription « sit nomen domini » (Que le nom du Seigneur [soit béni]). Enfin, à droite, apparaissent saint Jérôme, accompagné de son fidèle lion et, sans doute, de sa traduction de la Bible, ainsi que saint François d’Assise montrant ses stigmates. Ces deux dernières figures sont à mettre en rapport avec le précepteur du duc, Didier Birstorff, qui traduisit les écrits de saint Jérôme, et avec la fondation par René II du couvent des Cordeliers, une des branches de la famille franciscaine. Au dessus des deux premiers pilastres, des phylactères portent deux inscriptions issues du Magnificat : « fecit potentiam in brachio suo » (Il a déployé la puissance de son bras), une des devises ducales, et « ecce ancilla Domini fiat » (Voici la servante du Seigneur, qu’il m’advienne [selon ta parole]). Au dessus de celui de droite, on déchiffre, en capitales : « IE SUIS RENE RO[Y] DE IHERUSALEM ».

Le couronnement est lui-même composé de deux parties superposées. Le large linteau est orné de huit anges vêtus de dalmatiques tenant les écus des quatre royaumes de Hongrie, Sicile, Jérusalem et Aragon, prétentions territoriales des ducs de Lorraine héritées de la famille d’Anjou. Ils faisaient écho à ceux qui étaient initialement gravés sur la plaque de bronze à l’effigie du duc tandis que, dans l’enfeu, les écus des duchés d’Anjou, de Lorraine et de Bar leur répondent toujours. La partie supérieure est constituée de trois acrotères de formes insolites composés, sur les côtés, de motifs de coquilles accompagnées de grotesques et d’une tête de lion. Au dessus de chacun d’eux, se tiennent des putti. Ceux de droite tiennent un phylactère sur laquelle il faut probablement lire : « Ihesus Maria ». L’acrotère central représente le Père éternel cantonné de deux anges musiciens et surmonté de l’inscription « Le juste s’élèvera jusqua moi ». L’impressionnante richesse d’invention du décor de l’enfeu permet de déployer grotesques, motifs végétaux, animaux, figures humaines et mêle le foisonnement du gothique flamboyant à des innovations issues de la péninsule italienne. La polychromie d’origine était due entre autre au peintre Pierrequin Fauterel et à l’enlumineur François Bourcier. Au XVIe siècle, le discours de ce spectaculaire monument se prolongeait sur le vitrail qui le surmontait. Celui-ci représentait au sommet une rose ornée dans son centre des armes pleines de Lorraine entourées de celles des différents royaumes ou duchés les constituant. Dans les quatre lancettes, on pouvait distinguer saint Jean-Baptiste apportant une guérison miraculeuse au couple ducal couché dans un lit, puis René II en prière, identique au priant de l’enfeu, et, à l’extrême droite, un personnage armé de toutes pièces portant les armes de Lorraine.

Détruites lors de la Révolution, de même que la plaque à l’effigie ducale envoyée à la fonte, les sculptures du duc et de la Vierge à l’enfant furent refaites en plâtre par François Labroise, en 1818, qui rajouta sur le prie-Dieu une épée, un sceptre et un second livre. Le sculpteur restaura par ailleurs, outre la polychromie, le blason central et les trois écus présents à l’intérieur de l’enfeu : sur la gravure de Sébastien Antoine, les armes de Lorraine et de Bar sont en effet inversées et on distingue des couronnes ducales qui ont aujourd’hui disparu. Refaite en 1738, l’épitaphe murale fut également détruite à la Révolution puis rétablie en 1818 par le marbrier Miller-Thiry mais avec des dimensions moins larges, ce qui permit de rajouter un rideau peint en trompe-l’œil derrière le priant du duc. Jugés très maladroits par le conservateur du Musée lorrain Pierre Marot, les statues en plâtres de Labroise furent finalement retirés vers 1936.

Transcription de l’épitaphe actuelle :

 

« O vous hom[m]es considérez com[m]ent
Cy-gist Réné de Hiérusalem Roy,
Qui de Cécile [Sicile] étoit semblablement
Vrai héritier par coustume et par loy,
Lorraine et Bar tenoit en noble arroy,
Luy estant Duc des deux Peys exquis.
Et conduisoit ainsi qu’il est réquis
Les deux comtez de Guise et Vaudémont ;
Aussy Comte d’Ahumalle [Aumale] et de Blamont.

 

Charles jadis puissant Duc de Bourgogne.
Print guerre à luy à petite achoison
En usurpant son peys sans allogne
Tant espia Nancy, mist forte garnison.
Le preux Réné qui usa de raison
Le compertat en bastaille puissante.
L’a eust Lorrains nation très-vaillante
Qui tindrent pied à la desconfiture.
Et puis Réné par charité fervente
Fist à Charles pompeuse sépulture.

Aux Rois françois com[m]e doux et humain,
A tousjours faict tout honneur et service
Sur le peys qu’il tenoit en sa main
Faisant régner équité et justice ;
Aux désolez il se montroit propice,
A[i]mant les Clercz et les gens de noblesse ;
Et com[m]e ung cœur que par dévote humblesse
De Dieu servir humblement se soucie,
Vivoit en paix quand la mort qui trop blesse
Le vint touchier du dart d’apoplexie.

Or avoit-il lors faict confession
Et puis receu le digne Sacrement,
Conséquemment après S.te Unction,
Rendist à Dieu l’ame dévotement.
Inhumé fust en grand gémissement
En ce Convent dont il fust fondateur,
Ainsy print fin le vaillant combateur
En Décembre l’an mil huict et cincq cens.
Celuy qui est souverain Plasmateur
Lui doint repos avecq les innocenz.

GRAVÉ PAR MILLER-THIRI »

Pierre-Hippolyte Pénet

Historique :

Installé dans l’église en 1508-1509. Épitaphe refaite et polychromie restaurée en 1738. Statues, plaque funéraire et épitaphe détruites à la Révolution. Polychromie reprise, nouvelles statues et épitaphe installées en 1818. Statues retirées vers 1936.

Bibliographie :

LIONNOIS (Jean-Jacques), Histoire des villes vieille et neuve de Nancy depuis leur fondation jusqu’en 1788, Nancy, Haener, 1805, t. I, p. 112-115.

GRILLE DE BEUZELIN (Ernest-Louis-Hippolyte-Théodore), Rapport à M. le Ministre de l’instruction publique sur les monuments historiques des arrondissements de Nancy et de Toul, Paris, Crapelet, 1837, p. 25-27.

CAYON (Jean), Église des Cordeliers, La chapelle ronde. Sépulture de la maison de Lorraine à Nancy, Nancy, 1842, p. 66-72.

GUILLAUME (Pierre-Étienne), Cordeliers et chapelle ducale de Nancy, Nancy, Peiffer, 1851, p. 37-44.

PFISTER (Christian), Histoire de Nancy, Paris-Nancy, Berger-Levrault, 1902, t. I, p. 625-627.

MAROT (Pierre), « Le trépas et les funérailles de René II duc de Lorraine », La Lorraine et la mort, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 1991, p. 138-141.

MAROT (Pierre) et CHOUX (Jacques), Le Vieux Nancy, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, Éditions du Pays lorrain, 1993, p. 83-84.

THOUVENOT (Béatrice), La sculpture funéraire du Musée lorrain de Nancy du XIVe siècle au XVIIe siècle (très hauts-reliefs et rondes-bosses), Mémoire de maîtrise d’histoire de l’art, Université Nancy 2, 2004-2005, p. 89-121.

CHONÉ (Paulette), « Le tombeau de René II aux Cordeliers », Lotharingia, t. XVI, 2010, p. 81-106.