Piédestal de la croix cénotaphe de Philippe de Gueldre

Lorraine

Cat. 19
Lorraine
Piédestal de la croix cénotaphe de Philippe de Gueldre
1ère moitié du XVIe siècle
Calcaire
H. 116 ; L. 60 ; Pr. 57 cm
Inv. 2121.1
Achat auprès de la commune de Vilcey-sur-Trey, 1895

Fille d’Adolphe d’Egmont, duc de Gueldre, et de Catherine de Bourbon, Philippe de Gueldre devint, en 1485, la seconde épouse du duc René II de Lorraine. Entre 1486 et 1506, elle mit au monde douze enfants dont Antoine, futur duc de Lorraine, et Claude, fondateur de la Maison de Guise. Après la mort de son époux, en 1508, n’ayant pu exercer la régence pour son fils Antoine, déclaré majeur par les États de Lorraine, la duchesse se retira, en 1519, au monastère des clarisses de Pont-à-Mousson (Meurthe-et-Moselle) où elle passa les vingt dernières années de sa vie. Le 26 février 1547, elle rendit son dernier souffle succombant à une péritonite par perforation vésiculaire. Dans son testament, daté du 23 octobre 1520, l’ancienne duchesse avait écrit : « Nous voulons que mon corps viande aux vers soit enterré au cimetière dudict couvent ». Elle aurait obtenu, de son vivant, de faire élever au milieu du cimetière des religieuses, situé dans le cloître, un grand crucifix taillé en pierre afin d’indiquer l’emplacement de sa sépulture.

Seul le piédestal de la croix est aujourd’hui préservé. Retrouvé en 1890 au cimetière de Vilcey-sur-Trey, non loin de Pont-à-Mousson, il entra dans les collections du Musée lorrain cinq ans plus tard. L’une de ses faces est ornée d’un petit squelette assis, la tête posée sur la main en signe de douleur et d’abattement, avec le ventre ouvert laissant apparaître les boyaux. Sur la face opposée, un crâne dans un médaillon lui fait écho. Sous ces deux motifs, deux inscriptions sculptées en lettres gothiques auraient été rédigées par la duchesse elle-même. On peut ainsi lire :

« CY GIST. UNG.VER.TOURN.EN.PORRITURE.REDA
NT.AMORT.LE.TRIBUT.DE.NATURE.SEUR.PHELIP DE.GUELDRES.FUT.ROINE.DUPASSE.TERRE.L
LOST.POUR.TOUTE.CONIETURE.CEST.LA.MAL DE.TOTE.CREATURE.SEURS.DICTES.LUI.REQ.PA »

« O REDEMPTUR.BEOIST.CRUFIE.E.Q.MO
CŒUR.IAMAIS.NADESFIE.MAIS.ESPER
A.TA.CROIS.JE.MACORDE.COME.A.CELLE.Q
A.VIVIFIE.LE.GENRE.HUMAIN.DU.JOUR »

Elles sont traditionnellement transcrites ainsi :
« Cy-gît un vers tourné en pourriture rendant à mort le tribut de nature. Sœur Philippe de Gueldre fut reine du passé. Terre son lot pour toute conjecture. Sœurs, dites-lui un Requiescat in pace » et
« Ô Rédempteur benoît crucifié à qui mon cœur jamais n’a défié mais espéré, à ta croix je m’accorde comme à celle qui a vivifié le genre humain du jour horrifié. Mon âme prie en ta miséricorde ».
Sur les parois latérales, on peut également lire dans deux petits cartouches tenus par des rubans : « JESU.MA/JOSEPH » (Jésus, Marie, Joseph) et « AVE.MAA/MERE.D. » (Ave Maria, Mère de Dieu). Cette iconographie et ces inscriptions sont une transcription du motif du transi funéraire, apparu au XIVe siècle, qui décrit le défunt en état de décomposition. Elles ne sont pas sans évoquer les reliefs très proches appelés « miroirs de la mort » de l’église Notre-Dame de Bar-le-Duc ou du monument funéraire de Claude de la Vallée à l’église Saint-Didier de Clermont-en-Argonne qui sont tous deux accompagnés de l’inscription : « Mirez-vous et considérez comme je suis telz vous serez ». Le monument de Clermont-en-Argonne, représentant le squelette du défunt allongé, complète par une inscription proche de celle de Philippe de Gueldre : « Considérez ma hideuse figure / Quelque belle que vous ayez la face / Sy fauldra-t-il que telle la vous face / Quant consumez servez en pourriture ». Loin du faste inhérent à son statut princier, le monument de la duchesse témoigne ainsi de son mépris du corps et de sa foi dans le Christ souffrant pour lequel elle avait développé une dévotion particulière.

Pierre-Hippolyte Pénet

Historique :

Initialement installé dans le cloître du couvent des clarisses de Pont-à-Mousson (Meurthe-et-Moselle). Croix originale probablement détruite lors des profanations révolutionnaires. Retrouvé en 1890 au cimetière de Vilcey-sur-Trey associé avec une croix du XVIIIe siècle. Acheté par le musée auprès de la commune en 1895 et exposé au palais ducal dans la galerie basse puis dans la salle de la sculpture de la Renaissance dans les années 1930. En 2010, le piédestal fut séparé de la croix postérieure (inv. 2121.2) et installé en 2013 dans l’église des Cordeliers.

Bibliographie :

GERMAIN DE MAIDY (Léon), « Découverte de l’épitaphe et d’une partie du premier monument funéraire de Philippe de Gueldre », Journal de la Société d’archéologie lorraine et du Musée historique lorrain, Nancy, Crépin-Leblond, 1890, p. 140-144.

PFISTER (Christian), Histoire de Nancy, Paris-Nancy, Berger-Levrault, t. I, 1902, p. 659-661.

BRESC-BAUTIER (Geneviève) et PÉNET (Pierre-Hippolyte), « Le gisant de Philippe de Gueldre par Ligier Richier : une sculpture pour l’éternité », Le Pays lorrain, 2018, vol. 99, p. 253-255.