Saint Sébastien et saint Roch protégeant la ville de Nancy

Rémond Constant

Cat. 31
Rémond Constant (Nancy, v. 1575 – 1637)
Saint Sébastien et saint Roch protégeant la ville de Nancy
1610
Huile sur toile
H. 310 ; L. 249 ; Pr. 5 cm
Inv. 58.1.2
Don des Sœurs de Saint-Charles de Nancy, 1958
Signé et daté dans un cartouche en bas, au centre : « ·R· constant 1610 »

Réalisée en 1610, cette toile est la plus ancienne vue de Nancy connue de l’époque moderne. Elle représente la Vieille Ville vue de l’Est depuis les hauteurs du village de Malzéville. Des fortifications édifiées douze ans auparavant par l’architecte milanais Orfeo Galeani, on distingue les bastions le Duc et le Marquis, baptisés en l’honneur du duc Charles III de Lorraine et de son fils Henri, marquis de Pont-à-Mousson, qui encadrent la porte de la Citadelle. À gauche, en arrière de celle-ci, se dressent les deux tours de la porte médiévale de la Craffe et le clocher du prieuré Notre-Dame. Quand au clocher représenté à l’extrême gauche de la toile, il s’agit de celui de l’église Saint-Epvre avec ses quatre cadrans indiquant l’heure aux habitants, que l’on peut identifier grâce au plan de Claude de la Ruelle de 1611. À l’extérieur des fortifications, des personnages déambulent sur le chemin conduisant à Malzéville, non loin de tas de bois de flottage déposé sur les berges. Sous le bras gauche de saint Sébastien, le peintre a représenté le pont en pierre enjambant la Meurthe, identifié par Michel Sylvestre. Il fut reconstruit à la fin du XVe siècle par le duc René II qui fit élever sur son parapet une grande colonne quadrangulaire au sommet de laquelle était placée une statue du Christ que l’on distingue sur la toile.

Seule la Vieille Ville médiévale apparaît sur la toile, avec ses deux paroisses Notre-Dame et Saint-Epvre, mais la Ville Neuve, édifiée par Charles III à la fin du XVIe siècle, est suggérée par la présence de saint Sébastien et de saint Roch, représentés au premier plan, l’un, attaché à un arbre, le corps percé de trois flèches, et le second, vêtu en pèlerin, accompagné de son chien et montrant son bubon de peste sur la cuisse. Les deux saints furent en effet choisis pour être les patrons des deux paroisses de la Ville Neuve. Si l’église Saint-Roch ne fut finalement construite qu’en 1731, la première église Saint-Sébastien fut utilisée dès 1609. Ce tableau fut commandé pour en orner le maître-autel. De fait, saint Sébastien est plus particulièrement mis en valeur : la tête levée au ciel, il tourne le regard vers la Vierge Marie tenant l’Enfant Jésus tandis que quatre angelots lui présentent la palme et la couronne de lauriers du martyre. Selon l’abbé Choux, la toile aurait été commandée par le marchand et bourgeois nancéien François Serre dont le blason serait accroché sous le genou de Sébastien : « tranché d’argent à une montagne ombrée de sinople et d’azur au lion léopardé d’or ». Ces armes lui avaient été octroyées par Charles III, le 25 avril 1609, un an après que le duc lui eût accordé un privilège exclusif pour créer à Nancy une manufacture de savon d’Espagne avec ses associés Étienne Salmon et Jeanne d’Aussonne. Les lavandières œuvrant dans la Meurthe au second plan pourraient ainsi être une évocation du commerce du commanditaire. Devenu chevalier, seigneur de Clévans en partie, conseiller d’État du duc Charles IV, François Serre fut inhumé dans l’église Saint-Julien.

Comme dans de nombreuses compositions du peintre Rémond Constant, la capitale ducale est ici placée sous la protection divine. Le choix de saint Sébastien et de saint Roch comme patrons de la Ville Neuve s’explique par l’épisode d’épidémie de peste qui toucha la Lorraine au moment de sa construction dans les années 1590. Les deux personnages intercèdent pour les habitants auprès de la Vierge représentée couronnée de douze étoiles. Ce détail iconographique a été rapproché par Michel Sylvestre d’un opuscule de prière nancéien de 1623 insistant sur les dangers de l’hérésie en incitant le fidèle à prier la Vierge « pour obtenir la grâce de bien mourir ».

Pierre-Hippolyte Pénet

Historique :

Installé dans l’église Saint-Sébastien en 1610. Après 1801, confié aux sœurs de Saint-Charles et placé dans la chapelle de l’hôpital Saint-Charles de Nancy. Donné au musée en 1958 et installé dans l’église des Cordeliers puis dans la galerie des Cerfs en 1992 (?) avant d’être ré-accroché aux Cordeliers en 2018.

Bibliographie :

LIONNOIS (Jean-Jacques), Histoire des villes vieille et neuve de Nancy depuis leur fondation jusqu’en 1788, Nancy, Haener, 1811, t. II, p. 482-483.

LEPAGE (Henri), « Quelques notes sur des peintres lorrains des XVe, XVIe et XVIIe siècles », Bulletin de la Société d’archéologie lorraine, 1853, p. 97.

JACQUOT (Albert), Essai de répertoire des artistes lorrains. Les Peintres, Paris, Rouam et Cie, 1909, p. 36.

PFISTER (Christian), Histoire de Nancy, Paris-Nancy, Berger-Levrault, 1909, t. II p. 1014-1015.

CHOUX (Jacques), « Deux toiles de Rémond Constant au Musée lorrain », Le Pays lorrain, 1958, p. 91-99.

SYLVESTRE (Michel), Recherches sur les peintres et la peinture en Lorraine à l’époque de Georges de La Tour, présentées comme thèse de IIIe cycle, Université de Nancy II, 1979, t. I., p. 325-329.

THUILLIER (Jacques) et PETRY (Claude) (dir.), L’art en Lorraine au temps de Jacques Callot [cat. exp., Nancy, musée des Beaux-Arts, 13 juin - 14 septembre 1992], Paris, Réunion des musées nationaux, 1992, cat. 147, p. 366-368 (notice de Michel Sylvestre).

LARCAN (Alain), « Les peintures du Musée Lorrain provenant d’hôpitaux de Nancy », dans LARCAN (Alain), FLOQUET (Jean), LABRUDE (Pierre) et LEGRAS (Bernard), Le patrimoine artistique et historique hospitalo-universitaire de Nancy. Établissements hospitaliers et Facultés de soin (médecine, pharmacie, odontologie), Gérard Louis, 2012, p. 26-29.

CHRISTIN (Olivier) (dir.), Un nouveau monde, Naissance de la Lorraine moderne [cat. exp. Nancy, Musée lorrain, 4 mai – 4 août 2013], Paris, Somogy, 2013, cat. 24, p. 222-223 (notice de Francine Roze).