Statues du monument funéraire de Jean des Porcelets de Maillane

César Bagard

Cat. 34, 35 et 36
César Bagard (Nancy, 1620 – 1707)
Statues du monument funéraire de Jean des Porcelets de Maillane
1679-1680
Calcaire
H. 180 ; L. 58 ; Pr. 45 cm (Espérance)
H. 180 ; L. 70 ; Pr. 60 cm (Ange)
H. 180 ; L. 67 ; Pr. 43 cm (Foi)
Inv. D.2006.0.3, 95.3 et D.2006.0.2
Dépôt du musée des Beaux-Arts de Nancy, 1840 (Vertus) et Don Delalle, 1851 (Ange)
Signé sur le bas du manteau de l’ange : « C. BAGARD »

La famille des Porcellets (écrit Porcelets en Lorraine) est l’une des plus anciennes maisons aristocratiques arlésiennes. Elle acquit la seigneurie de Maillane au XVe siècle dont le nom fut accolé à son patronyme. Un siècle plus tard, André des Porcellets de Maillane s’installa en Lorraine où il devint gentilhomme de la Chambre du duc puis gouverneur et bailli d’Épinal. Son fils Jean épousa Esther d’Apremont et poursuivit l’ascension familiale en étant nommé chambellan du duc de Lorraine, bailli de l’évêque de Metz, maréchal du Barrois et de Lorraine.

Le second fils du couple, Jean, naquit en 1580 au château de Valhey, près de Lunéville. Après des études menées chez les jésuites à l’université de Pont-à-Mousson ainsi qu’à Trêves, Ingolstadt et Rome, il regagna, en 1604, la Cité Éternelle où il fut nommé protonotaire apostolique et camérier secret du pape Clément VIII. Il œuvra conjointement au service du Saint-Siège et du duc de Lorraine dont il fut le résident à Rome. La mission diplomatique qu’il mena en Angleterre, en 1605, pour y discuter de la situation des catholiques suite à la Conspiration des Poudres lui ouvrit de nombreuses récompenses. L’année suivante, Jean des Porcelets devint abbé de Saint-Mansuy de Toul puis, en 1607, candidat consensuel entre la France et la Lorraine, il succéda à Christophe de la Vallée en tant que quatre-vingtième évêque de Toul. À ce titre, il fut chargé d’officier, un an plus tard, lors des funérailles du duc Charles III. Brentel le représente sur les planches de la Pompe funèbre ainsi que son père portant le bâton de maréchal et son frère aîné André, conseiller d’État du duc, Grand Maître de l’hôtel, gouverneur de Marsal et bailli de l’évêché de Metz. Habile politique, il prêta également serment à l’empereur en 1611 et fonda Porcelette (Moselle), village catholique à la frontière des états protestants. Pour mettre en avant les préceptes du concile de Trente, l’évêque supprima les anciens rituels, développa le culte du Saint Sacrement et de la Vierge, réunit des synodes et édita des statuts. Favorisant les réformes des ordres religieux comme celle de Pierre Fourier, il soutint également l’installation, en 1612, du collège des Jésuites de Nancy et de son église au sein de laquelle il fut inhumé après sa mort survenue le 14 septembre 1624.

Dix jours après son décès, le recteur du collège requit la somme de 6000 francs barrois pour y édifier la sépulture du défunt. Mais cette entreprise ne se concrétisa que 55 ans plus tard, le 16 mars 1679, lorsqu’un marché fut conclu entre trois petits-neveux de l’évêque (Jean Baptiste Gaston, comte de Tornielle et marquis de Gerbéviller, Henri, comte de Tornielle, ainsi que Charles François de la Baume, comte de Saint-Amour et prince de Cantecroix) et le sculpteur César Bagard afin que ce dernier réalisa un monument funéraire pour la somme de 3000 francs barrois, soit la moitié de la somme initialement envisagée. Achevé en 1680, l’ensemble fût placé sous une arcade creusée à droite dans le chœur de l’église du collège. Un piédestal soutenait un sarcophage supporté par deux termes colossaux qui encadraient une épitaphe en marbre noir à laquelle faisait écho une seconde, placée sur le piédestal, rappelant que l’évêque avait été inhumé auprès de son frère André et de son neveu Jean, tous deux morts en 1623.

Au dessus du sarcophage, sur des socles, étaient installées trois statues qui sont les seuls éléments subsistants du monument. Au centre se tenait un ange, dont les ailes, aujourd’hui disparues, sont attestées par les deux encoches dans le dos de la sculpture qui permettaient de les fixer. Il porte un médaillon entouré d’une couronne de lauriers sur lequel est représenté le portrait de Jean des Porcelets, vêtu de la mozette et de la croix pectorale. Il était encadré par deux des Vertus théologales : à gauche, l’Espérance représentée les yeux levés vers le ciel, la main gauche sur le cœur et portant une ancre, symbole de fermeté dans la tempête, et, à droite, la Foi tenant un livre et une croix. Aux deux extrémités du monument apparaissaient également l’écu du prélat, « d’or au porc passant de sable », orné, à gauche, d’un casque ayant une chouette pour cimier et, à droite, des attributs de l’épiscopat.

Signé sur le bas du manteau de l’ange, le monument de Bagard est un unicum au sein de la sculpture funéraire lorraine. Si les figures de vertus étaient utilisées depuis le XVe siècle sur les tombeaux aristocratiques italiens ou français, la représentation du défunt en médaillon est plus récente. Apparue dès la fin du XVIe siècle à Rome, elle fut popularisée par le Bernin qui la déclina de différente manière : soutenu par un grand squelette dans le monument à Alessandro Valtrini de 1639, à l’église San Lorenzo in Damaso, ou par des angelots dans l’épitaphe de Maria Raggi de 1643, à Santa Maria sopra Minerva. Bagard choisit ici un ange adolescent au torse nu dont la représentation romaine la plus proche est une sculpture plus tardive dédiée à un grand prieur de la famille Falconieri à San Giovanni dei Fiorentini. Rappelant la mémoire de l’évêque, le portrait du médaillon est emprunt d’un grand réalisme. Contrairement aux exemples les plus courants où les bustes sont représentés de profil, sur le modèle de la médaille, celui de Jean des Porcelets est sculpté de trois quarts et semble sortir du cadre que tient l’ange de ses mains. Cette illusion de vie transparaît particulièrement dans le traitement du regard auquel est conférée une grande acuité.

Le style de Bagard est ici facilement reconnaissable notamment par le travail caractéristique des yeux assez grands et globuleux, à l’iris creusé en forme de virgule et à la caroncule lacrymale marquée, ou des doigts longs aux gestes gracieux. Certaines comparaisons stylistiques sont sans appel : l’index de la Foi est posé sur la croix dans l’attitude exacte de celui du Saint Pierre conservé au musée (cat. 37) tandis que les chevelures des deux Vertus, tirées à l’arrière du crâne avec une raie centrale et recouvertes d’un voile, sont identiques à celle de la Vierge des Carmes conservée à la cathédrale de Nancy.

Traduction de l’épitaphe disparue :

« À la mémoire éternelle de JEAN DES PORCELETS DE MAILLANE, évêque et comte de Toul, prince du Saint Empire Romain, fondateur de ce collège ; Ce prélat pieux, attentif et bienfaisant a été inhumé dans ce monument par ses très illustres petits-neveux Gaston-Jean-Baptiste Comte de Tornielle, marquis de Gerbéviller, Henri, comte de Tornielle, Charles-François de la Baume, comte de Saint-Amour, prince de Cantecroix. Il mourut à Nancy le 14 septembre 1624. Il vécut 44 ans et 21 jours.

Dans cette tombe gît également ANDRÉ DES PORCELETS DE MAILLANE, bailli de l’évêché de Metz, Gouverneur de Marsal, Grand Maître de l’hôtel du duc sérénissime HENRI II ; son père fut Jean, maréchal de Lorraine et Barrois et son frère, Jean, évêque de Toul. Il a été sur le théâtre de la France, de l’Allemagne, de l’Italie et de la Sicile, il ajouta aux héros tandis qu’il les exprimait en lui-même, la plus ancienne noblesse, et transmit les vertus chrétiennes à ses héritiers, Jean des Porcelets, Claude Dorothée, comtesse de Brionne, Marie, comtesse de Saint-Amour, Marie Aprône, comtesse de Suze. Il mourut dans la ville d’Épinay, près de Paris, le 18 août 1623 avec son fils Jean mort prématurément le 8 novembre de la même année. Il espère en la résurrection et la miséricorde de Dieu. »

Pierre-Hippolyte Pénet

Historique :

Église du collège des Jésuites de Nancy devenue église paroissiale Saint-Roch en 1731. Statues saisies en 1793 et placées au Muséum de Nancy (chapelle de la Visitation) sur des piédestaux, contre les pilastres encadrant l’arcade de l’entrée. Transférées en 1807 à la cathédrale. Les deux Vertus furent déposées en 1840 dans l’église des Cordeliers et placées sur le monument créé en mémoire du duc Léopold. Sorti dans des conditions inconnues de la cathédrale, l’ange serait passé dans la collection Alexandre de Haldat à Maxéville. Il fut acheté, en 1843, « à M. Genty » par l’abbé Dellale, curé de la cathédrale de Toul, qui l’installa dans une des chapelles de son église avant de l’offrir, en 1851, au Musée lorrain. Dans les années 1930, l’ange fut installé au palais ducal, dans le hall d’entrée du musée, où il fut rejoint en 1937 par les Vertus. Une reconstitution du monument fut proposée à laquelle on intégra également le blason de l’évêque (inv. III.1066) provenant de l’abbaye Saint-Mansuy de Toul. Les trois statues furent déplacées aux Cordeliers en 1980 (?). Depuis leur importante restauration en 2018, elles sont présentées sur une nouvelle évocation du monument.

Bibliographie :

Mémoire statistique du département de la Meurthe adressé au ministre de l’Intérieur, d’après ses instructions par M. Marquis, Préfet de ce département, Paris, Imprimerie impériale, an XIII, p. 150.

LIONNOIS (Jean-Jacques), Histoire des villes vieille et neuve de Nancy depuis leur fondation jusqu’en 1788, Nancy, Haener, 1811, t. II, p. 420-423.

GUILLAUME (Pierre-Étienne), Cordeliers et chapelle ducale de Nancy, Nancy, Peiffer, 1851, p. 256-259.

LEPAGE (Henri), « Note sur une statue déposée au Musée lorrain », Journal de la Société d’archéologie et du comité du Musée lorrain, juin 1856, p. 102-103.

PFISTER (Christian), Histoire de Nancy, Paris-Nancy, Berger-Levrault, 1902, t. I, p. 637-638.

MAROT (Pierre), Collections historiques du Musée lorrain. La sculpture (XIIe – XVIIe siècle), Le Pays lorrain, 1937, p. 343.

MAROT (Pierre), Musée historique lorrain. La sculpture du XIIe au XVIIIe siècle, Nancy, Éditions du Pays lorrain, 1938, p. 22-23.

SIMONIN (Pierre), « Nancy, trois monuments funéraires avant et à la suite de la Révolution », Le Pays lorrain, vol. 79, 1998, p. 277-281.

COQUERY (Emmanuel), MALGOUYRES (Philippe) et PIÉJUS (Anne) (dir.), Figures de la passion [cat. exp. Paris, Cité de la musique, 23 octobre 2001 – 20 janvier 2002], Paris, Réunion des musées nationaux, 2001, cat. 77, p. 246-247 (notice de Philippe Malgouyres)

GELLY-SALDIAS (Clara) (dir.), De l’an II au sacre de Napoléon, le premier musée de Nancy [cat. exp. Nancy, musée des Beaux-Arts, 23 novembre 2001 – 4 mars 2002], Paris, Réunion des musées nationaux, 2001, cat. 35, p. 104-105 (notice de Clara Gelly-Saldias).

THOUVENOT (Béatrice), La sculpture funéraire du Musée lorrain de Nancy du XIVe siècle au XVIIe siècle (très hauts-reliefs et rondes-bosses), Mémoire de maîtrise d’histoire de l’art, Université Nancy 2, 2005, p. 201-216.

PÉNET (Pierre-Hippolyte), « César Bagard, un sculpteur lorrain dans le Grand Siècle », L’Objet d’art, n°574, janvier 2021, p. 56-67.