Le Guetteur à la fontaine
Manufacture Cyfflé à Lunéville
Manufacture Cyfflé à Lunéville
Paul-Louis Cyfflé (auteur du modèle), Jean-Baptiste Grandel (repareur)
1767-1779
Biscuit de porcelaine hybride
H. 39 ; L. 23 ; P. 22 cm
Inv. III.582.A
Legs de René Mougenot, 1916
Marque TERRE DE LORRAINE estampée en creux et initiales JG à la pointe
Assise en position instable, une jeune femme ayant relevé sa jupe se lave le pied à l’eau d’une fontaine, motif emblématique des représentations pastorales du XVIIIe siècle. À ses côtés se trouve un panier rempli d’œufs qui, comme dans le groupe Le Baiser ou Les Œufs cassés, désigne au spectateur averti le caractère érotique de la scène, l’œuf symbolisant la virginité de la jeune femme. En effet, sur le côté du groupe et à l’arrière, deux jeunes chasseurs s’approchent afin de l’épier. Le premier d’entre eux a retiré son chapeau et l’observe, le sourire aux lèvres, caché à quatre pattes derrière des branchages, tandis que son compagnon attend son tour. Bien que la scène traitée soit ici beaucoup plus légère et badine, il est probable qu’elle puisse offrir aux contemporains un écho à l’iconographie biblique de Suzanne et les vieillards. Par le choix d’une composition à 360 degrés, Cyfflé invite le spectateur complice à devenir lui-même voyeur en tournant tout autour du groupe pour en découvrir les différents aspects. Ce n’est ainsi qu’en observant l’arrière que l’on découvre le deuxième chasseur accompagné de son chien endormi ainsi que les deux fusils posés contre le tronc d’arbre, la gibecière à franges et un canard attaché par les pattes. Le groupe se déploie autour d’une colonne centrale surmontée d’un vase de style néoclassique.
Il est difficile d’établir avec certitude à qui attribuer l’origine de ce modèle. Vers 1756, le sculpteur Franz Anton Bustelli (1723-1763) en réalise un exemplaire en porcelaine émaillée à la manufacture bavaroise de Nymphenburg se réduisant à deux personnages auxquels s’ajoute un petit amour volant. On retrouve également ce sujet dans différentes manufactures allemandes (Frankental, Höchst ou Kelsterbach) avec quelques adaptations. Dans ces mêmes années, Cyfflé réalise sa propre version, avec et sans émail, sans doute dans l’une des manufactures Chambrette selon Catherine Calame, puis dans sa propre usine. Ce modèle est remarquable par le nombre de détails exécutés par les modeleurs, en particulier les feuilles de l’arbre, assemblées une à une, dont la finesse offre un véritable décor illusionniste à la scène. Le groupe du palais des ducs de Lorraine - Musée lorrain porte les initiales de Jean-Baptiste Grandel, qualifié de « premier repareur très essentiel à la manufacture » en 1779. C’est donc à lui que revenait la charge d’assembler les différentes parties obtenues grâce aux moules et de les parfaire. La « fontaine de porcelaine » offerte en 1763 ou 1765 par le poète de cour François-Antoine Devaux à la marquise de Boufflers pourrait-elle être un exemplaire de ce modèle ? L’œuvre de Cyfflé est ensuite reprise à Niderviller, où le vase sommital est parfois remplacé par deux dauphins, et à Toul-Bellevue où elle est adaptée pour devenir Le Chasseur à la fontaine. Cette fois-ci, le chasseur se trouve debout derrière la colonne surmontée d’un vase orné d’un médaillon représentant le roi Henri IV.
Pierre-Hippolyte Pénet
Bibliographie :
NOËL (Maurice), « Recherches sur la céramique lorraine au XVIIIe siècle », thèse non publiée, Université de Nancy, 1961, p. 167.
NOËL (Maurice), « Les acquéreurs de statuettes en terre de Lorraine », Le Pays lorrain, Nancy, 1998, p. 39.
ZIFFER (Alfred), Nymphenburger Porzellan, Sammlung Bäuml, Stuttgart, Arnoldsche Art Publishers, 1997, p. 47.
HORIOT (Maïté), Paul-Louis Cyfflé et les terres de Lorraine aux XVIIIe-XIXe siècles dans les collections du Musée Historique Lorrain, mémoire de maîtrise d’histoire de l’art sous la direction de François PUPIL et Francine ROZE, Université de Nancy 2, 2002-2003, pp. 92-93, n°40.
NOËL (Maurice), « La petite statuaire lorraine en céramique : reflet de l’Europe des lumières », Mémoires de l’Académie nationale de Metz, t. X, 2006-2007, p. 268.
CALAME (Catherine), Cyfflé, orfèvre de l’argile. Ses statuettes en terre de Lorraine et les reprises par les manufactures régionales [cat. exp., « Cyfflé, orfèvre de l’argile », Saint-Clément, 1er août-17 août 2009], Lunéville, Association des Amis de la Faïence ancienne de Lunéville Saint-Clément, Office de Tourisme et château des Lumières, 2009, pp. 93, 98, 140.
CALAME (Catherine) et MAGGETTI (Marino), « Paul-Louis Cyfflé et ses recettes de Terre de Lorraine », Revue de la société des amis du Musée national de la céramique, n°21, 2012, p.74-86.