Saint Jérôme lisant
XVIIe siècle
Huile sur toile
H. 94,8 ; L. 73 cm
Inv. D.92.1.6
Achat, 1992, Dépôt du Musée du Louvre
Signé en bas à gauche La Tour fec[i]t
Retrouvé en 1990 dans un débarras au sein d’un château du Nord de la Vienne, cette toile fut acquise par préemption aux enchères en 1992 à Poitiers par le Musée lorrain. Si plusieurs autres hypothèses ont pu être avancées quant à son sujet, nous demeurons persuadés qu’elle représente bien saint Jérôme, un sujet traité à de nombreuses reprises par le peintre. Le succès de ce thème est confirmé par les archives qui mentionnent des tableaux représentant saint Jérôme dans les collections du cardinal de Richelieu ou bien du peintre du roi Simon Cornu.
Né au IVe siècle après JC, Jérôme de Stridon est l’un des quatre pères de l’Église. Converti au christianisme à l’âge de dix-huit ans, le jeune homme part vivre en ermite dans le désert de Chalcis avant d’être choisi en 383 comme secrétaire par le pape Damase Ier. Le souverain pontife lui confie alors la mission de traduire la Bible de l’hébreu en latin, texte plus connu sous le nom de vulgate. L’iconographie du saint retient habituellement deux thématiques principales : la pénitence de Jérôme au désert, et le travail du saint dans son étude. La Tour a traité avec talent ces deux thématiques : deux représentations de Saint Jérôme pénitent se trouvent ainsi conservées à Grenoble et à Stockholm et de nombreux Saint Jérôme lisant sont notamment conservées dans les collections de la Reine d’Angleterre, au Musée du Prado et au Louvre.
Néanmoins, le tableau du Musée lorrain, qui se rattache à ce second groupe, se distingue des autres compositions connues. La Tour dépeint en effet habituellement le saint comme un vieil homme s’aidant de besicles pour déchiffrer la lettre qu’il tient entre les mains. Ici, Jérôme est représenté bien plus jeune avec une barbe brune et sans rides. Les lunettes ont laissé la place à une bougie permettant de transformer la scène en nocturne. Sur la table sont disposés un livre, très probablement la Bible, un encrier sur lequel repose un calame, un saupoudroir, un cachet et un pinceau. Le crâne qui est présent dans la version du Louvre a ici disparu, gommant ainsi toute dimension eschatologique. L’artiste joue avec la flamme de la bougie qu’il place volontairement derrière la lettre afin de faire ressortir celle-ci par transparence, d’illuminer le rouge du camail et de saisir l’expression du visage d’une manière très proche de celui de la Vierge dans Le Nouveau-né du musée de Rennes. Au vu de l’âge du modèle, Francine Roze a suggéré qu’il puisse être en train de lire une lettre du pape avec lequel le saint entretint une correspondance importante. Comme dans La Découverte du corps de saint Alexis, la source lumineuse semble ici révéler une vérité ne pouvant apparaître qu’à ceux capables de l’entendre.
Le caractère autographe de l’œuvre a été particulièrement questionné à cause de la signature que l’on trouve dans son angle inférieur gauche « La Tour fec[i]t ». Certaines faiblesses dans l’exécution de la toile, notamment dans le traitement des mains, ont ainsi pu parfois remettre en cause son attribution. Néanmoins, selon l’étude publiée par Anne Reinbold, la signature serait bien celle du maître et correspondrait à la graphie de ses œuvres tardives. Si la toile a donc indubitablement été réalisée dans l’atelier de La Tour dans les dernières années de sa vie, le doute demeure sur la part de travail de son atelier, notamment de son fils Étienne. L’organisation du premier et la carrière du second restent aujourd’hui encore trop mal connus pour qu’il soit possible de préciser les choses.
Pierre-Hippolyte Pénet
Bibliographie :
REINBOLD (Anne), « Saint Jérôme lisant, signatures et documents d’archives » in Georges de la Tour ou les chefs-d’œuvre révélés, [cat. exp., Vic-sur-Seille, ancienne église des Carmes, 1er septembre – 20 décembre 2013], Metz, Editions Serpenoise, 1993, pp. 67-75.
ROZE (Francine), « Présentation d’une œuvre nouvelle du musée historique lorrain », in REINBOLD (Anne) (dir.) Georges de La Tour ou La nuit traversée, Actes du colloque tenu à Vic-sur-Seille, 9-11 septembre 1993, Metz, Editions Serpenoise, 1994, pp. 111-114.
CUZIN (Jean-Pierre), Notice in CUZIN (Jean-Pierre) et ROSENBERG (Pierre) (dir.), Georges de La Tour [cat. exp., Paris, Galeries nationales du Grand Palais, 3 octobre 1997 – 26 janvier 1998], Paris, Réunion des musées nationaux, 1997, p. 110.
SALMON (Dimitri), Saint Jérôme et Georges de La Tour, [cat. exp., Vic-sur-Seille, Musée départemental Georges de La Tour, 1er septembre – 20 décembre 2013], Saint-Etienne, IAC Editions d’Art, 2013, pp. 179-183.