Les Mangeurs de pois
XVIIe siècle
Huile sur toile
H. 76 ; L. 91 cm
Inv. D.77.2.11
Dépôt du Musée du Louvre, 1977
Le 29 décembre 1976, un tableau à deux figures est arrêté en douane centrale. Acquis pour la somme de 950 francs, le tableau est déposé au Musée lorrain à l’été 1977. Il s’agit d’une copie médiocre d’après un original de Georges de La Tour conservé depuis 1976 à la Gemäldegalerie de Berlin. Le tableau berlinois fut retrouvé coupé verticalement en deux en 1971 par l’historien de l’art Ferdinando Bologna dans une collection particulière de Lugano puis restauré avant d’être acquis par la Gemäldegalerie. Deux autres copies sont identifiées : l’une se trouve dans la collection Backhaus à Weiterstadt en Allemagne, l’autre dans une collection particulière française. Ces trois œuvres, identifiées après la découverte du tableau de Berlin, eurent le mérite d’en garantir l’exactitude de la restitution.
Le sujet représente deux vieillards saisis sur le vif au moment où ils partagent un maigre repas composé de pois chiches. Le regard de la vieille femme tourné vers le spectateur signale sa surprise. Le thème des mangeurs est connu en Italie depuis le XVIe siècle : on pense ainsi aux Mangeurs de ricotta de Vincenzo Campi du Musée des Beaux-Arts de Lyon ou au Mangeur de fèves d’Annibal Carrache de la Galerie Colonna à Rome. On le retrouve en Lorraine au siècle suivant ainsi que l’illustre le tableau de Georges Lallemant du musée national de Varsovie représentant Georges prompt à la soupe. Dans ses premières œuvres, La Tour s’attache également à représenter des sujets populaires dans la lignée des scènes de genre de la peinture flamande comme l’illustre sa série des Apôtres ou bien sa Rixe des musiciens. Cette composition s’inscrit donc dans le premier tiers de son œuvre : elle est ainsi datée autour de 1620 au moment où l’artiste s’installe à Lunéville. Néanmoins, par le traitement du sujet, le peintre se démarque des modèles évoqués ci-dessus qui privilégiaient une dimension burlesque et moqueuse.
Ainsi que le remarque Paulette Choné, la scène se passe probablement à la porte d’un hospice ou d’un couvent où les deux personnages ont pu recevoir l’aumône de ces deux bols de poix chiches, ce qui explique leur station debout ainsi que la besace de toile sur l’épaule du vieillard et le bâton que ce dernier n’a pas pris la peine de déposer. Leur dénuement est présenté avec un grand réalisme par La Tour qui insiste sur le caractère rapiécé de leurs vêtements, le visage ridé et édenté de la vieille femme et le problème oculaire du vieillard que les spécialistes ont pu identifier comme une conjonctivite et une hémorragie de la paupière causés par la malnutrition. Comme dans le Vielleur, ici pas de moquerie mais une grande dignité des protagonistes malgré la misère de leur condition.
Pierre-Hippolyte Pénet
Bibliographie :
CUZIN (Jean-Pierre), Notice in CUZIN (Jean-Pierre) et ROSENBERG (Pierre) (dir.), Georges de La Tour [cat. exp., Paris, Galeries nationales du Grand Palais, 3 octobre 1997 – 26 janvier 1998], Paris, Réunion des musées nationaux, 1997, pp. 112-115.
CHONÉ (Paulette), Georges de La Tour – un peintre lorrain au XVIIe siècle, Paris, Éditions La Renaissance du livre, 1996, p. 102-103.
CONTINI (Roberto), Notice "The Pea eaters" in SALMON (Dimitri) et UBEDA DE LOS COBOS (Andrès) (dir.), Georges de La Tour [cat. exp., Madrid, Musée du Prado, 23 février – 12 juin 2016], Madrid, Prado, 2016, p. 104.