Gisant de Philippe de Gueldre

Ligier Richier

Cat. 20
Ligier Richier (Saint-Mihiel, vers 1500 – Genève, 1567)
Gisant de Philippe de Gueldre
Vers 1548
Calcaires
H. 49 ; L. 31,5 ; Pr. 232 cm (gisant)
H. 49 ; L. 27 ; Pr. 53 cm (clarisse)
Inv. D.2006.0.1080
Classé Monument Historique en 1846
Dépôt de l’État, 1823

Bien que la duchesse Philippe de Gueldre eût demandé l’érection d’une simple croix cénotaphe pour indiquer l’emplacement de sa sépulture dans le cloître du couvent des clarisses de Pont-à-Mousson (cat. 19), un monument funéraire de plus grande envergure fut édifié après sa mort, en 1547, au sein de la chapelle de la Conception qu’elle avait fait construire dans l’église conventuelle. Commandé par les descendants de Philippe de Gueldre ou par les clarisses, ce monument, installé dans un enfeu orné de motifs sculptés polychromes, était constitué d’un sarcophage de marbre gris foncé sur lequel était placé le gisant de la duchesse. Au dessus de la sculpture se trouvait une armoire contenant des reliques dont certaines, provenant de la Sainte-Chapelle de Paris, avaient été offertes par le roi François Ier à Philippe de Gueldre. Afin de satisfaire à la fois les fidèles et les religieuses, le caveau fut creusé sous le mur de la chapelle mitoyen du cloître. Son ouverture du côté des religieuses était cachée par une planche sur laquelle la duchesse était peinte dans le même costume que le gisant dont elle constituait une substitution.

Lors de la vente du couvent comme bien national, la sculpture de la duchesse fut préservée de la destruction et remisée dans un grenier avant d’être redécouverte en 1822 puis déposée à l’église des Cordeliers l’année suivante. Depuis lors, son attribution à Ligier Richier a été unanime, bien qu’aucun document d’archive ne soit venu étayer cette affirmation. Le sculpteur a représenté la défunte dans son habit de clarisse, le visage ridé légèrement penché vers le spectateur et les mains posées sur le ventre, semblant endormie sereinement dans l’éternité. À ses pieds, une petite clarisse éplorée, représentant le couvent endeuillé, porte une couronne, symbole du renoncement aux fastes du monde terrestre de l’ancienne duchesse de Lorraine et de Bar, reine de Sicile et de Jérusalem. La religieuse agenouillée faisait initialement écho à un ange gardien, aujourd’hui disparu, qui se tenait derrière la tête de la défunte et symbolisait l’espoir en la Résurrection. Par sa force expressive malgré le calme serein de la mort et son attitude ample et souple sublimant la rigidité de la pierre, cette œuvre est unique dans l’art du XVIe siècle.

Son étude et sa restauration menées en 2009 et 2013 ont permis d’apporter des précisions importantes sur le travail du sculpteur. Ligier Richier a en effet utilisé trois calcaires distincts afin d’apporter au gisant la polychromie illusionniste suggérant les différents matériaux représentés : les visages et la couronne sont traités dans un calcaire blanc de Tonnerre, les robes et le coussin dans un calcaire gris légèrement doré imitant parfaitement la bure franciscaine et enfin les voiles dans un calcaire gris bleu de Belgique. Cette polychromie, que l’on retrouve dans d’autres monuments funéraires, constitue néanmoins le seul exemple connu dans l’œuvre du sculpteur meusien. Jugé digne de figurer dans les Galeries historiques du château de Versailles, le gisant fut moulé en 1845 par les ateliers du Louvre (le moulage est aujourd’hui en dépôt à la Cité de l’architecture et du patrimoine). Un autre moulage se trouve dans l’église Saint-Laurent de Pont-à-Mousson. Découvrant ce chef-d’œuvre lorrain en 1857 à Nancy, le peintre Eugène Delacroix, écrivit : « Voilà le triomphe de l’art ou plutôt du caractère qu’un artiste de talent sait imprimer à un objet : une vieille de quatre-vingts ans dont la tête est encapuchonnée, maigre à faire peur et tout cela représenté de manière à ce qu’on ne l’oublie jamais et qu’on n’en puisse détacher les regards ».

Pierre-Hippolyte Pénet

 

Historique :

Chapelle de la Conception de l’église du couvent des Clarisses de Pont-à-Mousson (Meurthe-et-Moselle). Remisé en 1792 dans le grenier du brasseur Harmand-Joseph Rauch à Bezaumont (Meurthe-et-Moselle) où il fut découvert en 1822 par le docteur Lamoureux, membre de la Commission des Antiquités de la Meurthe. Acheté par ce dernier en 1823 et déposé dans l’église des Cordeliers sur un premier socle réalisé par Joseph Labroise à qui on doit probablement la réfection des mains et de la cordelière. Le gisant était surmonté d’un médaillon reprenant l’épitaphe de la défunte qui fut retiré vers 1936 comme la grille initialement placée devant la sculpture.

Bibliographie :

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MAROT (Pierre), « Le tombeau de la duchesse de Lorraine Philippe de Gueldre à l’église des Cordeliers », Bulletin de l’histoire de l’art français, année 1976, Paris, 1978, p. 13-22.

Collectif, Ligier Richier et la sculpture en Lorraine au XVIe siècle [cat. exp. Bar-le-Duc, musée barrois, 11 octobre – 31 décembre 1985], Éditions du musée de Bar-le-Duc, 1985, cat. 60, p. 68-69, (notice de Paulette Choné).

MAROT (Pierre), « Le tombeau de la duchesse de Lorraine Philippe de Gueldre à l’église des Clarisses de Pont-à-Mousson », La Lorraine et la mort, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 1991, p. 149-162.

MAROT (Pierre) et CHOUX (Jacques), Le Vieux Nancy, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, Éditions du Pays lorrain, 1993, p. 87.

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THOUVENOT (Béatrice), La sculpture funéraire du Musée lorrain de Nancy du XIVe siècle au XVIIe siècle (très hauts-reliefs et rondes-bosses), Mémoire de maîtrise d’histoire de l’art, Université Nancy 2, 2004-2005, p. 152-168.

CAROLUS-CURIEN (Jacqueline), Pauvres duchesses, Metz, Serpenoise, 2007, p. 72.

CAZIN (Noëlle) et SONRIER (Marie-Agnès) (dir.), Ligier Richier : un sculpteur lorrain de la Renaissance, Éditions Nancy Place Stanislas, 2008, p. 120-121 (notice de Michel Lefftz).

QUANTIN (Stéphanie), La restauration du gisant de Philippe de Gueldre, 2011, non publié.

CHRISTIN (Olivier) (dir.), Un nouveau monde, Naissance de la Lorraine moderne [cat. exp. Nancy, Musée lorrain, 4 mai – 4 août 2013], Paris, Somogy, 2013, p. 345, cat. 209 (notice de Francine Roze).

MARIDET (Juliette), « Prier et gésir à Versailles. Les moulages de priants et de gisants dans les Galeries historiques de Louis-Philippe », Mémoire d’étude de 1re année de 2e cycle (M1), sous la direction de Lionel Arsac et Raphaël Masson, École du Louvre, 2018, annexes t. I, p. 106.

BRESC-BAUTIER (Geneviève) et PÉNET (Pierre-Hippolyte), « Le gisant de Philippe de Gueldre par Ligier Richier : une sculpture pour l’éternité », Le Pays lorrain, 2018, vol. 99, p. 253-266.