Le Christ au roseau
Maître du Christ défaillant
Cat. 22
Maître du Christ défaillant
Le Christ au roseau
2e moitié du XVIe siècle
Calcaire, restes de polychromie
H. 171 ; L. 50 ; Pr. 40 cm
Inv. D. 3693
Dépôt du musée des Beaux-Arts de Nancy, 1939
Provenant sans doute d’une église ou institution religieuse nancéienne, cette statue fut saisie à la Révolution et placée dans la rotonde du couvent de la Visitation, à gauche de l’arcade menant à l’ancien chœur des religieuses. Sur l’inventaire de 1793, elle est mentionnée comme « un Christ attaché à la colonne, en pierre, par un élève de Michel-Ange Buonarotti » avant de devenir, l’année suivante une œuvre originale de Michel-Ange. Jean-Joseph Marquis précise en 1804 : « Son exécution est d’une grande vérité ; le seul reproche qu’on pourrait faire à l’artiste, c’est de n’avoir pas assez étudié les beautés de l’antique ». Après avoir été transférée à la cathédrale en 1807, l’œuvre fut remise au musée des Beaux-Arts en 1909 avant d’être déposée au Musée lorrain en 1939. Contrairement à la description de 1793, la sculpture ne représente pas un Christ à la colonne mais un Christ au roseau. Elle rappelle l’épisode de la Passion durant lequel Jésus fut présenté par dérision à la foule par Ponce Pilate, préfet de Judée, sous le déguisement d’un roi caricatural, coiffé de la couronne d’épines, doté d’un sceptre de roseau et affublé d’un manteau de pourpre.
La Passion du Christ est une source iconographique privilégiée des artistes lorrains du XVIe siècle, témoignant ainsi de la dévotion très marquée de leurs contemporains envers les souffrances de Jésus. Cette sculpture représente avec une grande émotion le Christ éprouvé, au visage marqué par la douleur et les outrages subis avant la Crucifixion. Contrairement à la plupart des représentations connues, ses mains sont ici détachées. Le sculpteur semble ainsi anticiper les derniers instants de Jésus par le geste de sa main droite qui indique l’emplacement de la plaie reçue au côté après sa mort. Un soin particulier est accordé au rendu des différentes matières : les traces de gradine sur le bois de la couronne d’épines et sur le tissu du perizonium noué autour de la taille s’opposent au polissage de la peau du Christ et du manteau. Le sculpteur fait également montre d’un traitement réaliste de l’anatomie notamment par la suggestion des côtes et la représentation des veines sur les mains et des rides sur les genoux. L’œuvre comportait à l’origine une polychromie verte sur le roseau et la couronne, pourpre sur le manteau, et brune sur la chevelure et la barbe.
Si la sculpture n’est pas de Michel-Ange ni même italienne, l’attribution de 1793 souligne néanmoins sa grande qualité. Pierre Simonin a proposé avec justesse de l’attribuer à un sculpteur lorrain contemporain de Ligier Richier et l’a rapproché stylistiquement d’un ensemble d’œuvres dont les plus proches sont le Christ défaillant du Musée lorrain (cat. 23), et le Christ portant sa croix de l’église Saint-Laurent de Pont-à-Mousson. Nous proposons par conséquent de désigner cet artiste encore anonyme sous le nom de « Maître du Christ défaillant ». Dans ces trois œuvres, les traits du visage sont en effet très proches : on remarque un traitement similaire de la barbe bifide, de la chevelure, de la bouche entrouverte dans laquelle apparaissent les dents, mais aussi de l’arcade sourcilière particulièrement creusée, spécificité emblématique de l’art de Ligier Richier.
Pierre-Hippolyte Pénet
Historique :
Saisi à la Révolution et installé au Muséum de Nancy (chapelle de la Visitation) en 1793. Transféré à la cathédrale en 1807 puis remis au musée des Beaux-Arts en 1909. Déposé au Musée lorrain en 1939 et installé dans l’église des Cordeliers. Déplacé au rez-de-chaussé du palais ducal face à l’escalier du pavillon Morey en 2008 puis ré-installé aux Cordeliers en 2018.
Bibliographie :
Mémoire statistique du département de la Meurthe adressé au ministre de l’Intérieur, d’après ses instructions par M. Marquis, Préfet de ce département, Paris, Imprimerie impériale, an XIII, p. 150.
MAROT (Pierre), Le Musée historique lorrain. Guide du visiteur, Nancy, palais ducal, 1948, p. 111.
SIMONIN (Pierre), « Un imagier lorrain contemporain de Ligier Richier », Le Pays lorrain, 1971, n°4, p. 157-170.
SIMONIN (Pierre), « Un imagier lorrain contemporain de Ligier Richier. Seconde partie », Le Pays lorrain, 1972, n°1, p. 17-41.
GELLY-SALDIAS (Clara) (dir.), De l’an II au sacre de Napoléon, le premier musée de Nancy [cat. exp. Nancy, musée des Beaux-Arts, 23 novembre 2001 – 4 mars 2002], Paris, Réunion des musées nationaux, 2001, cat. 49, p. 113, cat. 49 (notice de Clara Gelly-Saldias).
CHRISTIN (Olivier) (dir.), Un nouveau monde, Naissance de la Lorraine moderne [cat. exp. Nancy, Musée lorrain, 4 mai – 4 août 2013], Paris, Somogy, 2013, cat. 141, p. 301 (notice de Frank Muller).