Monument funéraire du cardinal Charles de Vaudémont
Florent Drouin (?)
Cat. 25
Florent Drouin (?)
(Nancy, 1540 – 1612)
Monument funéraire du cardinal Charles de Vaudémont
Vers 1590
Marbre
H. 150 ; L. 67 ; Pr. 63 (saint Augustin ?)
H. 150 ; L. 67 ; Pr. 63 (saint Jérôme)
H. 150 ; L. 176 ; Pr. 80 (priant)
H. 150 ; L. 67 ; Pr. 63 (saint Grégoire)
H. 150 ; L. 67 ; Pr. 63 (saint Ambroise ?)
Inv. D.2006.0.1079
Classé Monument Historique en 1846 (monument et priant) et 1908 (docteurs)
Dépôt de la Ville de Nancy, 1828 (priant) puis 1936 (docteurs)
Fils de Nicolas de Lorraine (1524-1577), comte de Vaudémont et duc de Mercœur, et de Jeanne de Savoie-Nemours, Charles de Vaudémont est le petit-fils du duc Antoine de Lorraine (1489-1544). Né en 1559, il figura parmi les premiers étudiants de l’université fondée à Pont-à-Mousson en 1572 et dédia ses thèses de théologie au pape Grégoire III qui le fit cardinal deux ans plus tard. Devenu évêque de Toul en 1580 à l’âge de 21 ans puis de Verdun en 1584, Charles de Vaudémont organisa plusieurs synodes afin d’appliquer au mieux les nouvelles règles du concile de Trente, composa un catéchisme et publia des statuts pour le relèvement de la discipline ecclésiastique. Fait commandeur de l’ordre du Saint-Esprit en 1583, il attrapa une forte fièvre à Paris où il décéda précocement en 1587, à l’âge de 26 ans. Sur ordre de son frère aîné, le duc Philippe-Emmanuel de Mercœur, sa dépouille fut rapportée à Nancy afin d’être inhumée aux Cordeliers auprès de ses parents.
Le 4 mai 1588, à Paris, l’intendant du duc, Pierre Leclerc, seigneur du Vivier, passa un marché au nom de son maître avec l’architecte Étienne Dupérac et le marbrier Robert Ménard afin qu’un monument funéraire soit élevé dans l’église nancéienne à la mémoire du cardinal pour la somme de 4 000 écus. De retour en France après avoir effectué un long séjour à Rome de 1550 à 1578, Dupérac était entré au service de Charles de Lorraine, duc d’Aumale, qui le chargea de réaménager les jardins de son château d’Anet. Est-ce sur la recommandation de son cousin que le duc de Mercœur se tourna vers l’architecte ? Le monument fut probablement érigé vers 1590 car Dupérac et Ménard reçurent les derniers montants qui leur étaient dus en 1600. Il fut érigé à la droite de l’enfeu de René II (cat. 11). Un dessin conservé au Cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale de France nous permet de connaître le projet probablement réalisé. Surmontant l’épitaphe en latin et un sarcophage portant son chiffre, le prélat est représenté en marbre, revêtu de la grande cappa cardinalice, à genoux sur un coussin. Face à lui, un élégant prie-Dieu à volutes orné, à l’avant, de deux femmes ailées et, à l’arrière, d’un cartouche, soutenait un livre. Au même niveau que l’épitaphe, quatre statues placées devant des pilastres doriques représentent les docteurs de l’Église : saint Grégoire, identifiable à sa tiare pontificale, saint Ambroise et saint Augustin, difficilement distinguables l’un de l’autre, et enfin saint Jérôme, reconnaissable à son front dégarni et sa longue barbe. Cette iconographie, rarissime pour un monument funéraire, permettait de mettre en valeur les qualités doctrinales du défunt.
Sous chacun des docteurs, des médaillons évoquent par ailleurs la Réforme catholique : le premier représente un globe éclairé par la Trinité sous lequel se trouvent un livre, une croix, un calice et une hostie accompagné de l’inscription : « DIFFUSA VERITAS » (La vérité est répandue), Le second montre une sphère armillaire posée sur des livres et entourée d’instruments scientifiques et de musique avec l’inscription : « LOCUPLETATA ECCLESIA » (L’Église est enrichie). Le troisième dépeint également un globe terrestre entouré d’instruments similaires avec les mots : « ILLUSTRATA RELIGIO » (La religion est éclairée). Enfin, le quatrième comporte un globe couronné d’une croix rayonnante de laquelle partent des foudres embrasant des livres, accompagné de l’inscription : « PROFLIGATE HÆRESES » (Terrassez les hérétiques). Le couronnement du monument était orné de deux pots à feu et, au centre, d’un fronton aux armes du cardinal. Dom Calmet fut le premier en 1751 à attribuer les sculptures à un des membres de la dynastie Drouin que le père Husson identifia comme Nicolas Drouin en 1766. En 1863, Lepage proposa plutôt d’attribuer l’œuvre à Florent Drouin, attribution qui a perduré jusqu’à ce jour mais qui demeure sujette à caution car aucun document d’archive ne permet de la confirmer.
Après avoir été temporairement déplacées au sein de la chapelle ducale dans les années 1740, les quatre statues des docteurs ne furent probablement pas replacées dans le même ordre sur le monument car la description de Lionnois en 1779 ne correspond pas aux emplacements du dessin de Dupérac. Ils furent ensuite envoyées avec les médaillons au Muséum de Nancy après 1794. En 1807, on les transféra à la cathédrale, de part et d’autre des deux autels des chapelles du transept, de même que le priant du cardinal, resté aux Cordeliers, qui fut installé dans la chapelle Saint-Fiacre. En 1826, alors que la Ville de Nancy commençait à faire restaurer l’église des Cordeliers, elle fit reconstruire le monument funéraire du cardinal par le sculpteur Glorieux dans un style différent de l’original : deux colonnes en marbre noir de style ionique soutinrent désormais un entablement portant l’inscription « CAROLUS LOTHARINGIUS CARDINALIS VAUDEMONTIUS » (Charles de Lorraine, cardinal de Vaudémont) et un fronton triangulaire où on sculpta, par méprise, les armes du cardinal primat Charles de Lorraine (1567-1607), fils du duc Charles III. Ce n’est qu’en 1828 que la cathédrale accepta de se dessaisir du priant qui fut placé au centre du nouveau monument sous une arcade ornée d’une croix de Lorraine rayonnante. Après un siècle de controverse opposant la mairie et la préfecture, les docteurs de l’Église regagnèrent également les Cordeliers en 1936. Perdant alors leurs piédestaux d’origine en marbre veiné, ils furent replacés dans un ordre différent de celui du dessin de la Bibliothèque nationale de France, de même que les médaillons dont l’ordre ne correspond pas à la description faite par Lionnois avant la Révolution. Le priant fut rehaussé sur un second piédestal et on supprima la croix de Lorraine. Sur une plaque de marbre noir, le sculpteur Miller-Thiry grava l’épitaphe d’après le texte initial.
Traduction de l’épitaphe actuelle :
«D.O.M.
Passant, vois-tu ces fleurs princières moissonnées et gisant ici ? Entre toutes, il en est une, ravie par le trépas, que tu pleures et regrettes : c’est Charles de Lorraine, cardinal de Vaudémont, évêque, comte de Toul et de Verdun, prince du Saint Empire. Décoré de la pourpre romaine, d’une suavité de mœurs délicieuse, d’une orthodoxie de discipline exemplaire, de l’illustrissime sang de Lorraine, il avait surpassé d’inconvenables espérances. Distingué par sa probité, grand par ses vertus, incomparable par sa foi, enflammé contre l’hérésie d’une haine héréditaire, vraie fleur des temps, car né à peine, vite fané, vite flétri, vite enlevé, il n’avait pas commencé sa vingt-neuvième année que le cruel destin, soufflant contre lui les ardeurs d’une brûlante fièvre, le frappe, le brise et le renverse privé de vie : O barbarie ! Est-ce si cruellement que succombe un si digne prince ? L’implacable mort n’acquiert pas autrement sa gloire. Au reste passant, ne cherche pas à savoir pourquoi, si tôt, il a succombé. Il est mort parce qu’il ne devait pas vivre pour un siècle indigne de le posséder. Toi qu’un sentiment chrétien inspire, prie pour ce chrétien et retourne à ton affaire. Je souhaite cela pour toi.
Philippe-Emmanuel de Lorraine, duc de Mercœur, frère excellent, a consacré ce monument, en l’arrosant de ses larmes, à la mémoire de son incomparable frère, comme un gage de sa tendresse pour lui. Il mourut l’an de la Nativité Jésus Christ 1587, le 30 octobre.
Gé par Miller-Thiri »
Pierre-Hippolyte Pénet
Historique :
Monument installé vers 1590 dans l’église des Cordeliers. Les quatre docteurs de l’Église furent transférés momentanément dans la chapelle ducale où ils sont mentionnés en 1744. De retour dans l’église où ils sont évoqués en 1766, ils furent installés au Muséum de Nancy (chapelle de la Visitation) après 1794 sur des piédestaux, devant les quatre pilastres placés face à la porte, encadrant le mausolée du roi Stanislas provenant de Notre-Dame-de-Bonsecours. En 1807, ils furent placés à la cathédrale, de part et d’autre des deux autels des chapelles du transept, de même que le priant du cardinal, installé dans la chapelle Saint-Fiacre. Celui-ci fut de retour dans l’église des Cordeliers en 1828, suivi des docteurs en 1936.
Bibliographie :
CALMET (Augustin), Bibliothèque lorraine, ou Histoire des hommes illustres qui ont fleuri en Lorraine, dans les Trois Évêchés, dans l’archevêché de Trèves, dans le duché de Luxembourg, etc, Nancy, Leseure, 1751, col. 336.
HUSSON (Claude Robert), Éloge historique de Callot, noble Lorrain, célèbre Graveur, Bruxelles, 1766, p. 63-64.
DURIVAL (Nicolas), Description de la Lorraine et du Barrois, Nancy, Leclerc, 1779, t. II, p. 7, 48-49.
LIONNOIS (Jean-Jacques), Histoire des villes vieille et neuve de Nancy depuis leur fondation jusqu’en 1788, Nancy, Haener, 1811, t. I, p. 118-120.
Mémoire statistique du département de la Meurthe adressé au ministre de l’Intérieur, d’après ses instructions par M. Marquis, Préfet de ce département, Paris, Imprimerie impériale, an XIII, p. 150.
GUILLAUME (Pierre-Étienne), Cordeliers et chapelle ducale de Nancy, Nancy, Peiffer, 1851, p. 44-47.
LEPAGE (Henri), « Une famille de sculpteurs lorrains », Mémoires de la Société d’archéologie lorraine, Nancy, Lepage, 1863, p. 45.
BENOÎT (Arthur), « Note sur les statues des quatre docteurs de l’ancien tombeau du cardinal de Vaudémont aux Cordeliers », Journal de la Société d’archéologie lorraine et du Musée historique lorrain, 1883, p. 80-82.
MARTIN (Eugène), Histoire des diocèses de Toul, de Nancy et de Saint-Dié, Nancy, Crépin-Leblond, 1901, t. II, p. 39-42.
PFISTER (Christian), Histoire de Nancy, Paris-Nancy, Berger-Levrault, 1902, t. I, p. 627-630.
MAROT (Pierre), Nouvelles recherches sur la Chapelle ducale de l’Église des Cordeliers de Nancy, Nancy, Éditions de la Revue lorraine illustrée, 1930, p. 9.
MAROT (Pierre), « Le tombeau du cardinal de Vaudémont en l’église des Cordeliers de Nancy », Bulletin de la Société nationale des Antiquaires de France, 1951, p. 190-191.
CIPPRUT (Édouard-Jacques), « Nouveaux documents sur Étienne Dupérac », Bulletin de la Société d’histoire de l’art français, 1960, p. 161-162.
SIMONIN (Pierre), « La statuaire en Lorraine au temps de Jacques Callot : origines et évolution », L’art en Lorraine au temps de Jacques Callot [cat. exp. Nancy, musée des Beaux-Arts, 13 juin – 14 septembre 1992], Paris, RMN, 1992, p. 103-104.
SIMONIN (Pierre), « Nancy, trois monuments funéraires avant et à la suite de la Révolution », Le Pays lorrain, vol. 79, 1998, p. 277-281.
GELLY-SALDIAS (Clara) (dir.), De l’an II au sacre de Napoléon, le premier musée de Nancy [cat.exp. Nancy, musée des Beaux-Arts, 23 novembre 2001 – 4 mars 2002], Paris, Réunion des musées nationaux, 2001, cat. 24, p. 97-98 (notice de Clara Gelly-Saldias).
THOUVENOT (Béatrice), La sculpture funéraire du Musée lorrain de Nancy du XIVe siècle au XVIIe siècle (très hauts-reliefs et rondes-bosses), Mémoire de maîtrise d’histoire de l’art, Université Nancy 2, 2004-2005, p. 169-200.
MARTIN (Étienne), « Du retour des cendres ducales à la Première Guerre mondiale », dans MARTIN (Étienne) et PÉNET (Pierre-Hippolyte), L’église des Cordeliers. Le sanctuaire des ducs de Lorraine à Nancy, Société d’histoire de la Lorraine et du Musée lorrain, 2022, p. 226-227.